Tout au long du dernier roman de Jean-François Beauchemin, Ceci est mon corps, un homme hors du commun, Jésus âgé de 84 ans, se fabrique une aube acceptable en formulant au fil de la nuit le récit de sa vie. Vie publique, vie de l’esprit, surtout vie intime. La mort imminente de Marthe, la femme aimée, a favorisé cette confession et son coma en facilite le dévoilement. De par son expérience, son érudition et la teneur de sa réflexion, le personnage force le lecteur à plus de concentration. Il livre une pensée nourrie de sensations, de savoirs, une pensée ramifiée et riche. Les références historiques y abondent et alourdissent parfois le récit. Heureusement, les images et la perspective poétique adoptée nous ramènent toujours, sans effort, à l’essentiel de son propos : la préséance accordée au corps, aux sédiments de souffrance ou de joie qui logent dans ses replis.
Le livre s’ouvre sur le récit de la crucifixion et déjà, il est possible de saisir que ce corps violenté sera pour Jésus la source nouvelle de toute compréhension, de toute certitude, dont celle de sa fin. Aucune religion, aucun dieu ne peuvent renverser une telle évidence et il s’attache dans le reste du récit à la fois à le démontrer et à illustrer combien l’amour, l’amitié, la fréquentation de la nature, des animaux, prodiguent de meilleurs enseignements. Par ailleurs, la vision qu’il a de son époque s’impose comme une métaphore de la nôtre. Elle pousse le lecteur à réfléchir aux enjeux des guerres ou des luttes perpétrées aujourd’hui au nom de la religion ou en vue du pouvoir.
Cet écrit pourrait avoir des allures de traité, mais l’esprit pénétrant du personnage, son ouverture et son humanité prédominent. Le motif principal demeure celui de Jésus être de chair, aimant, souffrant, encore si proche de l’enfant qu’il fut. Un être de fiction certes, bien de la lignée de ceux, sensibles et ardents, créés par l’auteur, et que l’on aime pour leur authenticité, tout entière comprise dans le ton qu’il donne à leur voix.