En 1992, le sociologue Jacques T. Godbout, en collaboration avec Alain Caillé, publie un essai intitulé L’esprit du don qui s’inscrit dans le prolongement des études de Marcel Mauss sur le don, ici appliquées à l’économie de marché. Depuis, il n’a cessé de poursuivre sa réflexion sur cet aspect si ancien des sociétés. Dans son nouvel essai, intitulé Ce qui circule entre nous, il cherche à comprendre pourquoi, dans les économies de marché où l’argent est censé dominer tous les échanges, le don est aussi présent : « C’est une tentative de voir la société et ce qui s’y passe à travers le don ». Au fil de sa réflexion et de ses constats, il démontre que dans les sociétés occidentales modernes, l’être humain n’est pas seulement mû par un idéal rationnel-utilitariste ni seulement par la recherche de son propre intérêt, contrairement à ce que certains analystes pourraient le laisser entendre.
Il faut dire que le don fascine, dérange même. De par son essence, il est tout sauf planifié, calculé, modélisé, et il serait difficile de l’encadrer par une entente contractuelle fixe. Le don serait comme un rescapé qui a survécu au déferlement de l’idéologie de l’économie de marché dans les échanges entre les êtres humains. En fait, puisqu’il fabrique le lien social, le don est au-dessus du marché, ce dernier ayant tendance à « transformer tout lien social en rapport intéressé producteur-consommateur et à nier le rapport communautaire, celui qui est voulu pour lui-même ». C’est ainsi que ce n’est pas tant ce qui circule qui importe que sa signification.
Là où Godbout fait preuve d’une grande intelligence, c’est dans la méthode avec laquelle il aborde son sujet. Au lieu de critiquer de front le marché et les concepts parfois éhontés qu’il véhicule, il le circonscrit de façon très nette dans l’univers humain, allant jusqu’à lui rendre hommage : « Comme l’a montré la chute du communisme, le marché nous sauve des systèmes totalitaires ». En effet, ce n’est pas tant la « main invisible » de Smith qui contrôle le marché que les désirs des clients. Tout commerçant qui n’aura pas compris cela risque fort d’aller rapidement vers la faillite.
Si le propos est intéressant, il est cependant un peu lâchement présenté et manque de synthèse. Certaines explications auraient gagné à être condensées pour soutenir davantage l’attention du lecteur au fil des pages. Les idées de Godbout sont aussi saisissantes que pertinentes, mais il s’agit d’un livre qui pourrait décevoir ceux qui ont savouré L’esprit du don.