Cette autobiographie se termine par ces mots : « Votre mort, mes enfants, c’est l’échec de ma vie ». Et pourtant, la carrière de Michel Bastarache est exceptionnelle. Mais une carrière n’est pas synonyme de vie.Avec l’aide du journaliste Antoine Trépanier, Bastarache raconte sa vie à ses deux enfants morts, l’une à trois ans, l’autre à dix-sept, de la même maladie incurable du système nerveux qui les a rendus totalement invalides. Ce choix narratif donne au récit une couleur tragique et met en perspective l’importance relative d’une carrière, aussi brillante soit-elle, quand elle s’oppose au destin funeste de deux enfants. Tout au long du texte, ces deux pôles s’opposeront. On a parfois l’impression que la détermination de Bastarache repose sur son incapacité de faire face à la mort annoncée de ses enfants, et que le travail lui offre le refuge dont il a besoin pour préserver sa santé mentale. Sa femme l’appuiera et veillera sur les enfants au sacrifice de sa propre carrière.Sans nécessairement suivre la stricte chronologie, Bastarache aborde les différentes étapes de son cheminement, insistant particulièrement sur ses actions en Acadie, d’où est originaire son père. L’auteur est né le 10 juin 1947 au Québec d’une mère québécoise, mais le couple s’installe dans la région de Moncton alors qu’il n’a que quelques mois.Il glisse rapidement sur son enfance, somme toute heureuse dans une famille relativement aisée (son père est pathologiste), pointant ce qui sera ses lignes de vie : le sens du devoir, l’horreur de la complaisance, la volonté d’agir et son « nationalisme acadien, à défaut d’une meilleure définition [qui] résulte simplement de la situation [qu’il a] vécue comme adolescent à Moncton [alors que] la discrimination était ouverte ». Cette situation, il nous en donne les tenants et aboutissants. De là sa volonté d’affirmer le fait français dans l’ensemble du Canada. Ses études universitaires (Moncton, Montréal et Nice) puis l’effervescence politique et sociale des années 1970 et 1980 lui permettent de préciser sa pensée. Les pages qu’il consacre à cette époque sont lumineuses.Parmi les emplois qu’il occupera, il sera directeur général d’Assomption Vie, conseiller juridique auprès du gouvernement, doyen de la Faculté de droit en common law de l’Université de Moncton qu’il contribue à créer : l’homme est de tous les combats pour défendre les droits des minorités francophones. Lorsqu’il sera avocat, ses causes seront multiples : conception du projet de loi 88 sur les langues officielles du Nouveau-Brunswick, commission Poirier-Bastarache sur la situation du bilinguisme au Nouveau-Brunswick, affaire Mahé en Alberta sur le droit à l’instruction publique en français là où le nombre le justifie (une grande victoire pour les francophones) et bien d’autres qu’il relate d’une manière approfondie. Sa carrière le mènera à la Cour suprême du Canada, où il siégera durant onze ans, toujours préoccupé du sort des minorités francophones.La clarté de la pensée de Bastarache ainsi que la façon simple et parfois émouvante avec laquelle il présente ses actions, son cheminement, ses craintes et le destin tragique de ses enfants font de ce récit de vie un ouvrage passionnant qui éclaire aussi bien le destin de l’homme que celui de la société dans laquelle il a œuvré.
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