Depuis la parution en 1998 de La petite fille qui aimait trop les allumettes, Gaétan Soucy se passe de présentation. Aussi, le succès de son roman, traduit en plusieurs langues, a-t-il suscité des attentes considérables lorsqu’on annonça que sa première pièce de théâtre, alors en chantier, serait créée au printemps 2001. Gaétan Soucy qui, de son propre aveu, s’est longtemps méfié du théâtre à cause du sort fait au texte par certains artisans de la scène, a révisé sa position, grâce à la complicité du metteur en scène Denis Marleau, créateur de Catoblépas. Le texte est dense et peut très bien se suffire à lui même. Des caractéristiques du genre dramatique, Soucy a retenu les dialogues, faits de récits, souvent longs, et les didascalies, aussi rares que les gestes qu’elles commandent chez les deux personnages représentés. La religieuse et la mère, Alice, font le récit de leur histoire en rapport avec le personnage central, Robert qui, lui, tout comme les autres personnages, n’est que cité, jamais représenté sur scène. Il s’agit d’une histoire racontée par deux voix, plutôt que d’une action représentée, évoquant un espace psychique plus qu’un lieu physique et davantage à la portée du lecteur que du spectateur, me semble-t-il, encore que je n’aie pas vu la représentation, à l’affiche à Paris à l’automne 2001, après Ottawa, Montréal et Québec.
Sur scène, deux femmes qui se disputent la propriété de Robert, l’un des jumeaux nés vingt ans auparavant, à la fin de La petite fille… La religieuse qui s’est occupée de l’enfant-monstre depuis qu’on l’a retiré à sa mère à la naissance, l’a isolé et maintenu dans la dépendance, pour lui épargner la souffrance, dira-t-elle. Tombée en disgrâce, elle est prête à tout pour redevenir la niouniou préférée. Quant à Alice, sa mère, elle a pu enfin retrouver sa trace après vingt ans d’internement dans un hôpital psychiatrique ; elle veut le reprendre maintenant, pour son bien, dira-t-elle à son tour. Le récit de chacune dévoile la monstruosité tant de la religieuse, véritable mante, que de la mère qui laisse craindre le pire, elle qui n’a pas hésité à étouffer la jumelle de Robert pour l’empêcher de souffrir. Le thème de la pièce donne à réfléchir sur le mal fait aux enfants, pour les protéger, croit-on.
Vraiment, le monstre évoqué par le nom de l’animal légendaire au long cou dont la tête traînait à terre, le catoblépas, prend plus d’un visage dans ce texte symbolique.