Après la publication de Carnet du Front populaire 1935-1936, Gallimard lance un autre cahier inédit d’André Malraux (1901-1976), redécouvert en 2006, qui ne fait pas partie des cinq volumes des œuvres complètes de La Pléiade. L’excellente préface de Jean-Yves Tadié précise les circonstances du voyage de l’écrivain, de Moscou jusqu’à la Sibérie, et met en évidence certains éléments de Carnet d’U.R.S.S. qui apparaîtront ultérieurement dans d’autres livres de Malraux, comme Le miroir des limbes, ou dans les récits de Clara Malraux, dont Voici que vient l’été. Les notes et l’index des noms établis par François de Saint-Cheron sont tout aussi utiles pour connaître le rôle et le destin des nombreux personnages mentionnés. En soi, ce texte de Malraux, rédigé en 1934, couvre ici les pages 29 à 89 ; il est constitué de notes brèves, quelquefois de style télégraphique, ou parfois de dialogues retranscrits pour rendre compte des propos de telle ou telle personne, comme les échanges entre Malraux et Alexandre Dovjenko, à propos des différences entre le roman et le film.
L’intérêt de ce Carnet d’U.R.S.S. est multiple et demeure fidèle à l’esprit malrucien. Les références aux livres et les remarques sur les goûts littéraires des Soviétiques abondent : Malraux commente un vers de Vladimir Maïakovski, s’étonne que plusieurs écrivains soviétiques avouent ne pas aimer Dostoïevski, critique au passage Zola que les Russes aimeraient trop. André et Clara Malraux ont par ailleurs rencontré des intellectuels et des artistes soviétiques de cette époque dont le cinéaste Sergueï Eisenstein (qui maîtrisait parfaitement le français) et le metteur en scène V. E. Meyerhold. Quelques pages donnent au critique d’art l’occasion de commenter des icônes vues à la Galerie Tretiakov. Certaines pages plus aérées ressemblent davantage à des notes ou à des impressions, auxquelles il serait difficile de donner un sens, comme cette phrase isolée, sans autre explication : « Rues qui finissent en pistes ». On trouve en annexe une lettre inédite de Malraux à André Gide, à l’époque où ce dernier planifiait également un séjour en Union soviétique, d’où émergera un véritable chef-d’œuvre, Retour d’U.R.S.S. (1936), le premier ouvrage en français à dénoncer les mensonges du stalinisme.