Sorte de roman initiatique typique de la littérature hexagonale actuelle, Buveurs de vent est une œuvre ambitieuse et hybride, en ce sens que l’auteur emprunte librement à plusieurs genres littéraires, et c’est là sa principale force.
Ce neuvième roman de Franck Bouysse nous plonge progressivement dans une descente aux enfers, avec ses embûches, ses conflits mais aussi ses alliances, ses fumées, l’alcool, les rites, la noirceur, la drogue, compensés au passage par une lecture inattendue d’un psaume biblique. On suit trois frères et une sœur, tous soudés dès l’enfance face à l’adversité, voulant résister à la dépossession d’un industriel tenace, omniprésent depuis longtemps. Ici, l’intrigue et le dénouement importent moins que l’atmosphère noire et trouble que le romancier a voulu créer. L’action est censée se dérouler dans la vallée du Gour Noir en France, une région relativement isolée du Massif central : à travers le prisme du romancier, celle-ci pourrait – toutes proportions gardées – équivaloir au Midwest étatsunien, là où se déroulaient des téléséries insolites comme Les envahisseurs, dans les années 1960. Cette ambiance de forêt menaçante décrite comme s’il s’agissait d’une vraie jungle sert de toile de fond, un peu comme dans l’obscur roman L’ogre des Sargasses (1933), de Kenneth Robeson, ou même dans La mort en ce jardin (1954), de José-André Lacour, que Luis Buñuel adaptera au grand écran.
Pour un lecteur nord-américain, le style complaisant de Franck Bouysse pourrait parfois sembler verbeux, à la limite de la prétention, un peu comme la bande-annonce d’un film américain doublé à Paris et se voulant cool et branché : « Devina le démon invisible palabrer avec lui, signifier qu’à l’est, à l’ouest et au sud se trouvent des enfers déjà explorés, que le nord est un autre enfer à découvrir avec cette fille ». Avec en plus une profusion de personnages affublés de noms anglais – peut-être une nouvelle tendance dans le roman français des dernières années ! – le roman nous fait découvrir le tyrannique Joyce, mais aussi Roby, Double, Snake et Lynch ! Cette impression agaçante que le lecteur québécois ressent en lisant certaines des nouvelles fictions venues de France provient sans doute de cette tendance à la surenchère dans le roman d’aventures actuel, qui semble devenu intraduisible ou plutôt impossible à transposer d’un continent à l’autre : vus d’ici, le lexique et l’argot de Buveurs de vent s’apparenteraient presque à une caricature, à une parodie du genre, et ce n’était probablement pas le but de l’auteur, qui n’évite pas toujours les clichés ni les longueurs.