Réglons d’abord la question du titre. Beaux seins, belles fesses n’est ni un roman érotique ni même un roman leste. Il est bien plus que cela. À la fois tragédie, épopée, roman naturaliste, farce et mélodrame, ce gros roman de plus de huit cents pages est un formidable récit, mené avec verve et soutenu par une prodigieuse capacité d’invention.
Nous sommes dans un petit village de la Chine des années 1930, aussi bien dire dans la Chine éternelle. Après avoir donné naissance à huit filles, une paysanne met au monde son neuvième enfant, un garçon, le narrateur du roman. Témoin des amours tumultueuses de ses innombrables sœurs, celui-ci nous raconte comment les rêves et les passions de ces dernières vont plonger la famille Shangguan dans une cascade d’événements le plus souvent tragiques.
À travers le destin exemplaire de cette famille, Mo Yan rappelle les soubresauts qui ont secoué la Chine au XXe siècle, en particulier le monde paysan. Jetés dans le chaos des guerres et des révolutions, soumis aux exactions de leurs maîtres successifs (japonais, nationaliste, communiste, révisionniste, capitaliste), les mères courages, les illuminés, les chamans, les bandits de grand chemin, les traîtres et les héros qui peuplent le roman composent une société emblématique de toutes les humanités souffrantes.
En transfigurant le réel en y mêlant le merveilleux, en proposant une cosmogonie qui lie les hommes et les bêtes et où le monde des morts côtoie celui des vivants, Mo Yan hisse son roman à un haut niveau. « Un roman est avant tout l’expression d’un monde imaginaire qui servira de prisme permettant aux lecteurs de voir le monde autrement », dit Mo Yan de l’œuvre de l’écrivain. Mission accomplie est-on tenté d’ajouter après avoir refermé Beaux seins, belles fesses.