Écrivain au registre largement déployé, Maurice Henrie a jugé bon de suspendre un instant sa production de romans et de nouvelles pour privilégier le vécu, le vrai, le significatif. Tout en espérant que cette décision n’entraîne qu’une courte éclipse de la fiction, le lecteur appréciera l’accès qu’elle donne à la sagesse accumulée par une conscience moderne et alerte.
Premier bloc de réflexions ? L’écriture, comme il se doit chez un auteur dont les textes ont reçu et mérité tous les honneurs littéraires de l’Ontario francophone. Henrie s’avoue sans défense contre le besoin d’écrire, de jeter sur papier ou écran ce qu’inspirent le passage des jours et la confrontation à des défis toujours inattendus. Jeune, il se voyait professeur, mais sa carrière réelle fut surtout consacrée à des travaux d’écriture reliés à la gestion de l’État, à la préservation des ententes discrètement intervenues, au déploiement de stratégies diplomatiques. Autres objectifs, mais constante séduction des mots.
Un deuxième bloc présente, sans le nombrilisme mensonger qui dépare tant d’autobiographies, l’auteur dans ses gênes, ses aspirations, ses résignations. « Cent fois, mille fois au cours des années, je me suis trouvé à contre-courant de l’opinion la plus répandue ou la plus populaire, quelle que fût la question en cause. » Besoin de contredire ? Propension anarchique ? Certes pas. Plutôt une soif de liberté toujours tempérée par un sens très grec de la mesure.
Le troisième bloc ouvre sur les coulisses du pouvoir. Celles qu’a observées ce familier des grands bureaucrates. Celles où l’on apprend comment survivre, comment gagner un échelon, comment s’accommoder du ridicule, comment contourner la bêtise. Henrie y larde la démocratie de coups pénétrants sans nier pour autant qu’elle soit sinon la meilleure forme de pouvoir, du moins la moins mauvaise. Sa propension irait vers autre chose, mais Henrie n’est pas porté aux délires stériles.
Peut-être le plus émouvant, le dernier bloc de réflexions raconte la vie en société : les trop rares amitiés profondes et durables, les mensonges blancs et leurs inévitables cousins, les déchirements liés au rôle de juré et, facette exigeante d’une existence francophone en milieu fédéral et ontarien, l’inévitable statut de minoritaire, statut aggravé par le désintéressement québécois à l’égard des minorités francophones dans l’espace canadien.
Toujours pénétrant, le propos interroge, stimule, éclaire. Aucune indiscrétion, aucun voyeurisme, aucun effort pour s’attribuer le tonnerre, mais un beau déploiement de culture, d’humanisme, de solidarité discrète et généreuse.