L’actrice Denise Brosseau (1936-1986) aura côtoyé les plus grands, de Marcel Marceau à Réjean Ducharme, de Gaston Miron à Jodorowsky, mais aura laissé bien peu de traces. Sa nièce a voulu retourner sur les pas de son étonnant destin, qui s’est déroulé du Québec à Paris, en passant par le Mexique.
Remplie de tendresse et de respect, la romancière Élise Turcotte est ainsi partie à la découverte de sa mystérieuse parente, née à Sorel et morte suicidée à 50 ans, à Montréal. Elle a voulu écrire l’Autoportrait d’une autre, où elle présente celle dont la vie balançait entre l’amour, l’art et la maladie mentale, et qui a même été internée dans un hôpital psychiatrique. « Je […] parle de cette tante que je n’ai pas beaucoup connue, mais à laquelle je suis liée par des fils invisibles. Une sorte de légende dans la famille qui, comme toutes les légendes, s’est développée dans l’absence. »
L’écrivaine remonte le temps. En allers-retours entre l’Europe et le Nouveau Monde, tout comme sa tante avant elle, elle tente de cerner un petit quelque chose de cette artiste évanescente. « Elle voulait écrire et devenir philosophe. Mais quelque chose, la maladie peut-être, ou quelqu’un, ou l’époque l’en avait empêchée. » Qui était cette femme ? Avec l’aide de quelques proches de Denise Brosseau, dont son fils Esteban Garcia Brosseau, et de témoignages d’amis québécois, dont Alan Glass, artiste du mouvement surréaliste, ou d’écrivains de renom tels que Miron, Julien, Godin et l’insaisissable Réjean Ducharme allé la visiter à Mexico, Élise Turcotte tâtonne à l’aveugle. Tâtonne, mais ose raconter et se pose la question : a-t-on le droit d’écrire sur quelqu’un qu’on a si peu fréquenté ?
Parfois lumineuse, mais parfois aussi éteinte, Denise Brosseau débarquera à Paris à dix-sept ans et étudiera la technique du mime avec le célèbre Marcel Marceau. Quelques années plus tard, elle ira vivre au Mexique avec le non moins célèbre cinéaste franco-chilien Alejandro Jodorowsky, son premier mari. Elle y rencontrera le peintre mexicain Fernando García Ponce, qu’elle mariera en secondes noces et dont elle aura un fils, Esteban.
Si peu d’écrits, elle aura laissé si peu d’écrits : « C’est surprenant pour quelqu’un qui faisait des études en philosophie, qui aimait la littérature ». Élise Turcotte ne se décourage pas, elle persiste et signe, recherchant désespérément celle à qui on lui dit qu’elle ressemble : « Je cherche un visage avec ce qui m’a été offert ».
Neuvième roman d’Élise Turcotte, ce dernier-né, étonnamment vivant, va au-delà d’une simple biographie. L’autrice partage ses découvertes, autant sur l’art que sur la folie, autant sur la littérature que sur la place des femmes créatrices. « Plusieurs ont vécu ce que Marie-Claire Blais appelle : ‘le sort de silence’. Ou elles se sont battues avec une force féroce contre ce sort. »
« Si j’arrive à répondre à qui étais-tu, peut-être que je pourrais réparer quelque chose », souhaite Turcotte en guise de conclusion.
Depuis 1989, en plus d’avoir été souvent finaliste, Élise Turcotte a remporté plusieurs prix prestigieux, dont les prix Émile-Nelligan, Louis-Hémon et Ringuet ; elle a obtenu le Grand Prix du Festival international de poésie, le Grand Prix du livre de Montréal et, en 2003 et 2020, le prix du Gouverneur général.