Pas banal. Une vie menée au gré des vents et marées, ponctuée de virages impulsifs, donne lieu ici à un récit convivial, aux accents ironiques souvent pointés vers l’auteur lui-même, par lequel on en apprend un bon chapitre sur la viticulture et la cidriculture au Québec.Si Christian Barthomeuf a des racines paysannes, il a effectué un long détour avant de renouer avec la tradition ancestrale. Né en France dans une famille ouvrière, il passe néanmoins les étés de son enfance à la ferme de ses aïeuls, dans un hameau du Cantal habité par une trentaine d’humains et une centaine de vaches. Arrivé à l’âge adulte, Barthomeuf prend la tangente des trente-six métiers. Chauffeur, photographe, carrossier, cinéaste, son parcours est balisé par les occasions.Sur un coup de tête, le Français émigre au Québec en 1974, après s’être lié avec une bande de jeunes Québécois et en particulier avec une fille du groupe. Trois ans plus tard, après une expérience peu concluante dans le commerce des chaînes audio, nouveau coup de tête, il se porte acquéreur d’une ferme à Dunham. L’exploitation est en ruine, qu’à cela ne tienne, la maison a du charme et, peut-être inconsciemment au début, Barthomeuf y trouvera à renouer avec la tradition agricole familiale. La culture du maïs et l’élevage des oies s’avèrent successivement sans lendemain, mais le paysan en Barthomeuf prend du galon. Planter des vignes au Québec en 1980 est une décision téméraire, mais pas complètement irréfléchie. L’idée a mûri un certain temps dans l’esprit de l’apprenti fermier, celui-ci ayant découvert que le climat de son patelin est à peu près le même que celui de Vineland en Ontario, une région réputée pour la culture des fruits et de la vigne en particulier.L’entreprise viticole mise sur pied par Barthomeuf en 1980, le Domaine des Côtes d’Ardoise, est considérée par plusieurs comme le premier vignoble commercial au Québec. Deux ans après la première plantation, le domaine reçoit pendant quelques mois un stagiaire français, un dénommé Charles-Henri de Coussergues, qui allait fonder par la suite le Vignoble de l’Orpailleur. De fil en aiguille, le climat du Québec incite Barthomeuf à produire du vin de glace, d’où lui viendra l’idée de presser des pommes gelées.Pionnier au plein sens du terme, Barthomeuf vend la première bouteille de cidre de glace à l’été 1992. Le produit s’appelle alors « cidre liquoreux », puisque l’appellation « cidre de glace » n’est pas encore créée. Les succès vont par la suite s’enchaîner pour le produit. Quant à la reconnaissance, elle viendra beaucoup plus tard. Il aura fallu à l’inventeur lui-même un certain temps pour comprendre l’importance de sa découverte : « [R]ien, dans mon enfance de bougre d’andouille, n’aurait pu présager cela », dit-il pour marquer son propre étonnement.Plus explorateur qu’entrepreneur, Barthomeuf a mis au cours des ans son expertise au service de plusieurs entreprises naissantes. Il a ainsi contribué entre autres au succès de La Face cachée de la pomme et du Domaine Pinnacle, avant de créer, en 2003, une nouvelle exploitation consacrée à la culture de la vigne et du pommier.Aujourd’hui, dans son domaine de Clos Saragnat, le paysan rebelle et sa compagne Louise pratiquent une agriculture radicalement écologique nommée « culture fondamentale ». Toujours sur le front de l’expérimentation, Barthomeuf cultive les vignes et les pommiers en intégration dans l’écosystème local, sans engrais ni pesticide, avec la contribution des chevaux et des poules pour entretenir et enrichir le sol, en privilégiant les végétaux les mieux adaptés aux conditions du milieu, afin de réduire au minimum l’intervention humaine.Comme à l’habitude aux éditions du Passage, l’ouvrage est soigné et généreusement illustré. Dans ce cas-ci, les photographies de Virginie Gosselin complètent judicieusement le texte. Quelques interventions de la nutritionniste Julie Aubé ajoutent du rythme à l’exposé et contribuent à une facture originale qui sied bien à l’auteur.