Ah si les Ricains n’étaient pas là… Les contradictions ne pleuvraient plus et les occasions de blaguer non plus ! Consentir à la fondation d’un monastère de contemplatifs à quelques kilomètres de Millbrook est une glorieuse mise en scène du Grand Satan.
Tout comme l’Église elle-même, le monachisme chrétien a vu le jour en Orient ; il renaît chez les nababs de l’Occident. La communauté Notre-Dame de la Résurrection tire sa substance de ce nouvel éden mythique et mystique et crée son espace de vocation au beau milieu de l’État de New York. Retraçant le sillage du fils de Dieu, l’existence monastique y est vécue dans l’humilité et dans l’identification aux pauvres. Par imitation du maître, le moine est appelé à mettre l’amour en pratique dans son cocon, fermé aux turpitudes de la petite vie de millions d’êtres souffrants. La frénésie de consommation environnante n’empêche pas les moines, qui appliquent rigoureusement la Règle de Saint-Benoît, de s’adonner à une existence simple, détachée des biens matériels encombrants, épurée des scories capitalistes, consacrée à la prière. En accord avec la tradition des ermites des premiers temps de la chrétienté, le quotidien de la congrégation américaine s’égrène au rythme des saisons. Une existence frugale accordée aux cycles indéfiniment renouvelés des révolutions de la terre.
À travers l’observance de l’Avent, de Noël et de l’Épiphanie en hiver, les célébrations de la naissance du monachisme et de la fête de Pâques au printemps, l’épanouissement des différents aspects de la vie communautaire en été et la longue maturation du travail du moine en automne, l’Occidental athée devenu frère trouve à satisfaire sa soif de transcendance, il renonce au monde, à ses attraits et à ses plaisirs. Cette abnégation et la joie profonde qui soutient ce sacrifice attisent l’intérêt du reste de l’humanité. La convoitise, peut-être. Car n’ont-ils point, ces solitaires, entendus un appel, une invitation ? Comme toute forme de vie, le monachisme demeure essentiellement un mystère que le frère Victor-Antoine, très prolixe au demeurant, consent à dévoiler en partie.