Au bon roman commence sur les chapeaux de roue, à la manière d’un polar ; s’y mêle ensuite une romance qui s’installe lentement et non sans humour, une forme de triangle amoureux qui, au final, confère au récit une dimension tragique. Ce mélange équilibré des genres et des tonalités est aussi un prétexte pour examiner le monde de l’édition et faire connaître le travail du libraire à travers l’histoire d’un autodidacte vaguement rebelle, en quelque sorte tiraillé entre deux femmes qui s’adressent à lui par la littérature. Francesca, une mécène aussi belle qu’énigmatique, a proposé à Yvan d’ouvrir une librairie qui ne mettrait sur ses rayons que des bons romans, choisis par un comité trié sur le volet et dont l’identité est jalousement préservée pour éviter toute forme de lobbying. Ces personnages aux affinités électives, qui se sont donné pour mission de sauver le roman de la médiocrité, des modes et des engouements entretenus par le marketing, connaîtront un succès qui dérangera et ils se feront quelques ennemis puissants. Sur fond de faux débat entre le snobisme intellectuel et le droit à la distraction, les détracteurs du bon roman deviendront de plus en plus inquiétants, passant du harcèlement à l’intimidation, voire à l’agression. Pendant ce temps, l’impénétrable Francesca s’effacera à mesure qu’Yvan apprivoisera Anis, une jeune fille farouche qui, pudiquement, n’exprime ce qui est véritablement important pour elle que par des citations.
Par cette aventure à la fois tragique et divertissante, il semble que Laurence Cossé ait voulu réconcilier l’intellect et le plaisir en faisant l’apologie du bon roman. Afin que son écriture contribue au propos qu’elle illustre, elle a pris soin que son propre récit soit aussi savamment que subtilement travaillé. Ainsi l’érudit appréciera l’inventivité de la narration, car Francesca et Yvan racontent tour à tour à la troisième personne leur propre histoire, reprise en charge par un troisième narrateur dont on comprend peu à peu l’identité. Qu’on se rassure, celui qui se définit comme un simple amateur de romans n’a rien à craindre, car cette façon de faire, qui permet de varier les points de vue pour exprimer avec subtilité la complexité des situations par le prisme des subjectivités, n’a rien d’une construction trop évidemment intellectuelle et produit son effet sans freiner l’élan du récit. Ce pari d’écriture résume aussi le propos : un bon roman suscite avant tout un plaisir, fût-il paradoxal. Mais un bon roman n’est pas que divertissant : il fait du bien ou il fait réfléchir, il aide à se sentir moins seul. En somme, il aide à vivre. En prime, le lecteur du Bon roman sera invité à prolonger son plaisir indéfiniment, car il y découvrira une mine quasi intarissable de suggestions de lecture.