Qu’attendre d’une anthologie ? Autant et aussi peu, j’imagine, que d’un sondage isolé. Il faut attendre la répétition de l’exercice et une certaine convergence des choix pour qu’une sédimentation se produise et que s’accrédite une tendance lourde. Rien ne sera acquis tant qu’un certain consensus se fera attendre. L’anthologie qu’offre Jean-François Chassay intervient à un stade intermédiaire : elle procède à un tri valable, intelligent, original et extrêmement stimulant. Elle place côte à côte des incontournables et des emballements que l’on espère négociables. Que demander de plus ?
Plus encore que par ses choix, Jean-François Chassay suscite l’intérêt par la justesse de ses diagnostics d’ensemble. « […] l’essai, écrit-il, ne sera jamais à l’avant-scène comme d’autres genres littéraires majeurs. » « […] depuis une décennie, ajoute-t-il, l’essai se voit dans une certaine mesure marginalisé par le travail d’analyse littéraire ou sociale, plus ostensiblement universitaire, scientifique. » Il y aurait là matière à développement, peut-être même un bon sujet… d’essai.
J’avoue humblement ne pas comprendre pourquoi Jean-François Chassay s’est imposé la contrainte de « textes complets » ou du moins constitués en « un bloc cohérent ». Qu’un morceau d’anthologie rende la tessiture typique d’un auteur constituerait un aussi valable critère. D’autre part, même si nul n’oserait donner de l’essai une définition tranchée, une marge sépare, me semble-t-il, le souffle de l’essayiste du coup de griffe de l’éditorialiste ou de la percée poétique. En lieu et place de ces essais qui n’en sont peut-être pas, pourquoi pas Marcel Rioux, André Major, Jean Le Moyne, peut-être même telle page d’un manifeste syndical ou felquiste ? Mais de telles inclinations personnelles ne sont à leur tour que cela et elles n’enlèvent rien aux sélections de Jean-François Chassay, ni surtout à ses très justes synthèses.