L’édition en deux forts volumes d’une anthologie de la poésie française du XXe siècle vient combler un besoin pour les amateurs de poésie et les curieux de cette forme de littérature qui, sans attirer les foules, n’en demeure pas moins un baromètre des sensibilités esthétiques et des transformations qui secouent une époque. La poésie est toujours à la pointe des états du langage. En cela, elle est révélation, objet de culte et de vénération, ce qui ne veut pas dire qu’elle est lue. Paradoxe d’un genre littéraire, le plus ancien, le plus résistant, réputé difficile, pourtant. En plongeant dans ces deux tomes, nous relisons ‘ et découvrons parfois ‘ les surprises langagières que nous a réservées le siècle qui vient à peine de s’achever.
Le premier volume présenté par Claude Roy offre un panorama qui va de Paul Claudel à René Char, couvrant ainsi la première moitié de ce XXe siècle rempli de révolutions sociales, comme de révolutions de styles. Claudel, avec ampleur, lance les dés sur le terrain d’une langue qui se déploie, s’estime légitime, se dore au vent des rebonds et des longues et lentes idées. Les surréalistes viendront, les dadaïstes, d’autres aussi, plus intimistes, individualistes, plus généreux encore, bousculer les règles du jeu, ouvrant de nouvelles voies au rêve comme au dérisoire. Puis la guerre. Porte de fer du monde européen. La guerre et ses sauts noirs, ses horreurs, ses empêchements. Et la réponse, hardie, lumineuse, enfouie dans l’humus des mots qui persistent à rêver. C’est une solidarité humaine à travers les mots qui travaille les poètes de la résistance. Viennent les Seghers, Éluard et Aragon. Un mot comme « Liberté » scande l’espoir. Les mots parfois s’emballent, s’amusent même, malgré la noirceur qui guette : Desnos, Michaux, Tardieu, Queneau. Le poème résiste, éclate de rire, d’angoisse aussi. Le premier volume se ferme sur un poème extrait de La nuit talismanique de René Char : « Ô ma petite fumée s’élevant sur tout vrai feu, nous sommes les contemporains et le nuage de ceux qui nous aiment ! ».
Le second volume, présenté par Jorge Semprun, édité par Jean-Baptiste Para de la revue Europe, prend le pari de nous donner une idée très ouverte de la prolifération des formes et des voies poétiques explorées par les poètes nés avant 1947. Si le premier volume ne retenait de notre poésie que Saint-Denys Garneau, le second ouvre ses pages à un choix plus large de poètes québécois : Rina Lasnier, Anne Hébert, Gaston Miron, Paul-Marie Lapointe, Roland Giguère, Michel Beaulieu et Nicole Brossard sont au sommaire de cette anthologie qui montre la modernité de la poésie de langue française. Des poèmes d’Aimé Césaire, de Jacques Izoard, de Georges Haldas, de Kateb Yacine et d’Edmond Jabès entre autres, complètent ce panorama qui tient compte de la poésie qui s’écrit en français, hors de France. Cet impressionnant échantillonnage qui du surréalisme au formalisme, en passant par une écriture blanche, ludique, expérimentale ou lyrique, rend compte des préoccupations de la poésie française des dernières décades. D’André Frénaud à Valère Novaria, c’est une texture polyphonique qui laisse entendre avec beaucoup d’exigences de nombreuses modulations. En préface, Jorge Semprun écrit : « La poésie, donc, s’évanouit devant nous. Ou plutôt, elle apparaît, pour disparaître à nouveau quand nous pensons l’avoir saisie. Elle scintille un instant, étoile filante. »
Ces deux volumes donnent à lire des poèmes de 265 auteurs qui témoignent d’une vitalité exceptionnelle de la poésie française. À quand une anthologie de la poésie québécoise du XXe siècle ?