Dans son nouvel ouvrage, un récit autobiographique, Claude Jasmin raconte un amour de jeunesse, son premier grand amour, qui aurait pu être celui d’une vie, mais qui s’est terminé prématurément, pour de mauvaises raisons. C’était au moment de l’après-guerre, et la belle blonde, Anita, l’objet de cette passion, étudiait comme lui la céramique à l’École du meuble, à Montréal.
Dès qu’il la rencontre, sa voix grave et ses yeux bleus voilés de tristesse attirent le jeune Claude. Mais Anita est juive et, dans l’univers fermé du Québec d’avant la Révolution tranquille, c’est une tare impardonnable. Le fait qu’elle est une rescapée d’Auschwitz, où sont mortes sa mère et ses deux sœurs, ne lui vaut ni sympathie ni pitié, même si elle et son père, révoltés par les horreurs des camps de concentration, ne sont plus pratiquants ni croyants.
La famille du jeune homme s’acharne à lui faire comprendre que sa relation est inacceptable. Son père lui assène ces paroles : « Ton affaire de cœur, étouffe-moi ça en vitesse, je te parle pour ton bien, mon garçon, c’est voué à l’échec, une amourette impossible. J’ai un seul conseil à te donner, coupe ça à la racine avant qu’il soit trop tard et que tu saches plus comment t’en déprendre ». Lorsqu’il rencontre le couple par hasard, en réponse à Anita, qui lui demande pourquoi il déteste les Juifs, le père rétorque : « Vous avez tué le Christ, notre Seigneur Jésus-Christ ! »
Malgré tout, habité par son « amour fou », comme il le dit, le jeune Claude résiste à la guerre d’usure menée par son entourage. Au fil de ses sorties avec sa belle Juive et ses amis, il fait revivre au lecteur la bohème montréalaise des années 1950. Il nous plonge dans le fascinant milieu artistique du temps, avec Alfred Pellan, Paul-Émile Borduas et les automatistes, Jacques Normand alors animateur au Faisan doré, le poète Claude Gauvreau, le jeune Armand Vaillancourt moqué par les badauds…
Mais la bataille menée contre la relation dénoncée ne tarit pas. Des accusations contre Anita sont rapportées à son amoureux. Bouleversé, il les prend pour fondées et, sans en parler à la jeune femme, décide de s’éloigner d’elle. C’est fini : il rentre dans le rang, bien qu’il en souffre. À tel point que, plus tard, en repensant à ce tournant dramatique de son existence, il en vient à la conclusion que le mal existe, qu’il est vraiment une réalité.