Analphabètes est un roman hommage posthume à un père qui ne savait pas lire mais qui s’affirme comme le moins analphabète des personnages qui habitent le texte.
Le pluriel du titre exprime en effet non seulement l’incapacité à déchiffrer l’écrit mais de nombreuses autres impuissances. Tant de choses se présentent à chaque être sans légende et sans explication : un texte, un tableau, un viol, la mort d’un père, une amitié intense, un choix de vie rebelle aux normes sociales, un pays natal aimé pour ses rues et ses maisons mais craint pour sa violence et son intolérance à peine dissimulées. Les vrais analphabètes sont ceux qui rejettent tout ce qui ne leur ressemble pas. Ce sont les frères du narrateur à qui répugnent son homosexualité et son célibat. C’est le frère de Fayda, une jeune fugueuse dont la perte de virginité pourrait justifier les pires représailles.
Et, au cœur de ce monde où tout ce qui ne se comprend pas est condamné, se dessine une autre difficulté, celle du narrateur à faire son roman. La préoccupation constante de l’œuvre passée et de la possibilité de l’œuvre en train de s’écrire ponctue constamment le nouveau récit de Rachid O. Pour l’auteur marocain dont la précédente parution remonte à 2003, écrire ne va pas de soi. Ce texte, que hantent de multiples récits, ressasse la difficulté de trouver une histoire à raconter, la méconnaissance du chemin qui mène d’une histoire déterrée du fond d’un passé lointain au livre rêvé, ainsi que l’évocation des premiers encouragements à écrire et des nombreux moments d’incapacité. Si écrire, c’est un peu expliquer le monde, alors les moments où l’écriture ne vient pas sont aussi des moments d’analphabétisme.
L’écriture de Rachid O. est à la fois simple et pleine de belles surprises stylistiques. On y plonge étrangement à la fois comme dans une rêverie intime et dans un pamphlet sur le droit à la différence.