Le titre choisi pour réunir la quinzaine de textes qui composent cet essai, d’abord publiés entre 1981 et 2003, illustre remarquablement bien le fil conducteur qui en tisse la logique. Que le point de départ soit intellectuel (réflexion sur un auteur, retour sur son propre parcours de critique littéraire) ou corporel (réflexion sur la beauté ou la maternité), ces deux aspects de l’être, voire de l’identité, ne sont jamais complètement séparés chez la romancière, qui aborde dans Âmes et corps des thèmes comme la beauté, la maternité, la littérature, le féminisme et la guerre. S’éclairant les uns les autres, ces thèmes livrent ici sur le monde un regard éminemment féminin.
L’organisation des textes en chapitres (« Soi pluriel », « Lire et relire », « Âmes et corps », « La maman, la putain… et le guerrier ») obéit d’ailleurs à une logique thématique et non chronologique. De l’individuel au collectif, de l’expérience personnelle à l’engagement social, en passant par le rôle de l’intellectuel, les textes de Nancy Huston font une large place à la littérature comme point de départ de la réflexion. Cette réflexion porte d’abord sur les composantes multiples de sa propre personnalité, construite sur des déplacements, des déracinements successifs qui lui donnent une perspective unique des choses. On sent l’expression d’une pensée maîtrisée, forte de la conscience de ce qui assure sa propre différence, qui sait s’affirmer dans la nuance, c’est-à-dire en restant ouverte à d’autres points de vue.
À cet égard, ce qui frappe dans la teneur générale des propos, c’est l’honnêteté qui s’en dégage. Par exemple, lorsqu’elle parle de ses origines ou de la perception qu’elle a de sa propre beauté, on ne sent ni complaisance ni fausse modestie. Dans les textes qui portent plus explicitement sur la littérature, elle évite le piège de la théorie désincarnée sans avoir uniquement recours à la vie de l’auteur pour tout expliquer. Ainsi, elle compare Sartre et Tolstoï, en puisant abondamment dans leur vie personnelle (en particulier leurs rapports aux femmes) pour expliquer comment, bien qu’ils soient pratiquement opposés, chacun représente l’idéologie d’une époque et d’un pays à un certain moment de l’histoire.
On le constate, l’intellectuel n’est donc jamais désincarné, l’anecdotique est toujours significatif. Surtout, le lecteur est constamment ramené à « l’essentiel, à savoir la vie changeante, fluctuante, pleine de secrets et d’impalpable et de contradictions et de mystère ». C’est sans doute la signature de quelqu’un qui ne cesse pas de savoir raconter quand elle partage sa réflexion.