Elle fut la deuxième chanteuse québécoise à connaître une carrière internationale, après la cantatrice Emma Albani (1847-1930). Elle a également été la doyenne des icônes gaies (Gay Icons) du Québec.
On célébrera en 2023 le centenaire d’Alys Robi, née Alice Robitaille (1923-2011), vedette incontestée durant les années 1940. Elle connaît un succès exceptionnel, ici et aux États-Unis, puis en France et à Londres, à une époque où les seuls musiciens canadiens qui connaissaient la célébrité à New York étaient les membres de l’orchestre de Guy Lombardo (and his Royal Canadians), spécialisés dans le fox-trot. Plusieurs connaissent son nom parce qu’ils l’ont vue revivre à l’écran. Grâce à un accès privilégié aux archives de la famille de la chanteuse, Alys Robi a été formidable resitue et actualise son parcours de pionnière et sa chute implacable, au moment où elle avait atteint le faîte de sa gloire, en 1948. De multiples extraits d’entretiens et d’articles permettent de mesurer l’ampleur de sa popularité et le respect qu’elle inspirait aux journalistes. On peut même lire des passages tirés du « Courrier des lecteurs » de certains journaux. Après son internement, Alys Robi restera stigmatisée aux yeux du public ; mais elle connaîtra à partir des années 1950 une autre carrière dans des circuits parallèles du spectacle (les clubs comme le El Morocco), inversant sans le vouloir ce cheminement habituel de tant d’artistes qui végètent (trop) longtemps dans les circuits de seconde zone avant de récolter la gloire.
Stylistiquement, Alys Robi a été formidable constitue un cas inclassable où cohabitent de multiples genres littéraires : à la fois biographie, récit introspectif, portrait et essai, il est rédigé sous une forme romanesque. En le lisant, on repense parfois au roman Ingrid Caven de Jean-Jacques Schuhl (prix Goncourt 2000). Plusieurs pages tentent d’imaginer ce qu’Alys Robi aurait pu ressentir : « J’imagine sa détresse, enfermée pendant deux ans, puis relâchée sans que rien existe comme avant ». Les digressions – nombreuses – occasionnent des allusions inattendues : au frère malade de Jack Kérouac – Alys Robi avait elle aussi un frère handicapé – ou encore ce rapprochement anachronique avec le mouvement #MeToo, qui n’existait évidemment pas en 1947. Ailleurs, certains parallèles avec le destin de la romancière Sylvia Plath s’expliquent aisément. Il faut apprécier les digressions pour goûter pleinement cette création littéraire : toutes sont justifiées dans leur volonté d’actualisation du « phénomène Alys Robi ». En revanche, on aurait aussi pu mentionner l’influence des comédies musicales hollywoodiennes mettant en vedette Carmen Miranda (1909-1955), avec beaucoup de chansons à succès reprises quelques années plus tard par Alys Robi (comme « Tico-Tico ») : ainsi, le « Chica Chica Boom Chic » popularisé par Carmen Miranda en 1941 faisait partie intégrante d’un des premiers films tournés en couleurs, That Night in Rio (1941).
Ce livre réflexif aurait aussi pu s’intituler « Alys Robi et moi », tant la part autobiographique de la biographe est présente. Une trentaine de photographies de jeunesse, dont quelques inédites, complètent l’ouvrage.