Quelle agréable lecture que ce roman rempli de petits bonheurs simples et discrets, où s’entrelacent économie familiale et histoires d’amour. Pittoresque comme les meilleures chansons de Beau Dommage, il parle d’une femme « ordinaire » de Beaurivage Gardens, une banlieue modèle. François Gravel nous prend par la main, par la maison, même, s’adressant au côté « domestique » des lecteurs avec cette microéconomie d’une famille tranquille. Benoît Fillion, professeur en management, se penche sur la vie de sa tante Arlette, une femme dont l’agoraphobie a fait développer une organisation ménagère extrêmement élaborée, où tout est contrôlé, au poil. La mort de cette tante suscite des souvenirs, puis de nombreuses questions pour Fillion, ce qui déclenche une « investigation » digne de ses intérêts universitaires. L’histoire, qui se situe entre le roman d’enquête et les recherches en sciences humaines, est racontée avec humour et familiarité : les dialogues et la narration relèvent d’un langage courant et coulant. Le ton, jamais dissonant ou affecté, convient au sujet ; un brin pédagogique, il colle au narrateur.
Fillion remonte une filière ouvrant sur des pans d’histoire d’une famille méconnue, celle de son cousin, un fan des Beatles, et de sa cousine, son premier flirt. Le prof s’étonne devant l’ingéniosité de sa tante pour maintenir l’équilibre de sa maisonnée. Cette reine du foyer des années soixante, tellement parfaite, Benoît et son frère l’appelaient Betty Crocker.
La névrose d’Arlette aurait pu être dévorante, mais la tante a trouvé une façon de vivre avec son malaise. Il a certes provoqué quelques tensions ; la famille s’est bien adaptée. Épanouis, ses enfants « sont des gens discrets qui ont eu des amours discrètes, et qui connaissent leur chance. Psychologues s’abstenir ». Cette chance, c’est la même qui fait réussir un jeu de patience, tout comme un bon management. François Gravel joue habilement sur les racines communes entre le ménage et le management, dosant le côté matériel, factuel, mesurable, et le côté humain.