Nouvellement diffusée au Québec par Édipresse, La dernière goutte « aime le verbe, les mots, ce qui claque, ce qui fuse, ce qui gifle et qui griffe et qui mord » et se spécialise dans la défense de « textes aux univers forts, grotesques, bizarres ou sombres », pour reprendre les termes de la page d’accueil de son site. Si les neuf autres titres publiés par la petite maison d’édition strasbourgeoise sont aussi intéressants qu’Adalina de Silvio Huonder, ça promet.
Ni grotesque ni bizarre cependant, Adalina raconte une histoire d’amour et de culpabilité. Celle que porte le narrateur, Johannes Maculin, depuis près de vingt ans. Installé à Berlin depuis de nombreuses années, Johannes, un illustrateur à la pige, doit refaire un contrat. Son client lui a laissé le week-end pour illustrer la jalousie, tâche dont il n’arrive pas à s’acquitter. Sur un coup de tête, il prend le train pour Zurich et se rend dans le petit village suisse où vivent toujours ses parents qu’il n’a pas revus depuis son départ soudain à dix-huit ans. Au fil de ses déambulations sur les traces de sa jeunesse, Johannes se rappelle son grand-père qui parlait le romanche, ses camarades d’école dont Wullshleger avec qui les relations ont toujours été troubles et empreintes d’une certaine rivalité, son oncle Fons qui possédait une petite porcherie en haut de la montagne, et surtout sa cousine Adalina. Mais ses souvenirs réveillent aussi des sentiments de plus en plus lourds, torturants qui trouveront leur dénouement sur cette montagne suisse où tout a commencé
Scénographe, metteur en scène, dramaturge, scénariste et écrivain, Silvio Huonder vit à Berlin. Né à Chur en Suisse, il dirige également un atelier d’écriture à l’Université de Berne. Paru à l’origine en 1997 et réédité en 2009 en Allemagne, Adalina, premier roman de Huonder traduit en français, démontre une maîtrise remarquable. Au fur et à mesure que le lecteur suit Johannes Maculin dans le dédale des ruelles de la petite ville suisse au cœur des montagnes, il sent monter une tension de plus en plus prégnante qui oscille sans cesse entre les événements dramatiques du passé et un immédiat qui dérape. De façon très habile, l’auteur effectue de constants allers et retours entre passé et présent jusqu’à la scène finale, douloureuse, qui boucle le parcours de son personnage.
L’écriture de Silvio Huonder, moderne et vive, est bien rendue par la traduction avec, pour seul bémol, ces étonnantes coupures dans le rythme des monologues ou des dialogues indirects (par exemple : « Dans le ciel il y a, dit Fausch, des trous noirs » ; « Quels dieux, dit-il, sur la montagne » ; « Je reviens, dit Maculin, plus tard » ; « J’me, dit-il, sens mal »). Effets stylistiques que les traductrices ont respectés ou héritage de la structure de la langue allemande peut-être ? On ne sait trop, mais la lecture en est quelquefois désarçonnante. Il s’agit là cependant d’un très minime bémol pour un roman d’une grande force dont les images, saisissantes, nous happent et nous poursuivent.