Parfois, notre jeunesse embrouille notre présent et oriente ce qu’on cherche à faire vers des chemins inédits. Mémoire et littérature font souvent bon ménage, mais l’évocation du passé peut l’emporter sur la trame narrative.
Elle est belle la Franche-Comté, cette région française façonnée par le Juras, que met en scène Jean-Louis Grosmaire. Manifestement, celui-ci a dû chercher un prétexte pour la présenter. La Première Guerre mondiale le lui aura fourni, d’autant plus qu’un bataillon formé d’Acadiens y avait été dépêché pour servir comme bûcherons : il fallait en effet des planches pour solidifier les tranchées, qui croulaient sous les bombes et qu’il fallait sans cesse reconstruire.
Jean-Baptiste Beausoleil vit paisiblement à Fond-des-Brisants, une partie éloignée du village de Piligan, en Acadie de la mer. La fin de son adolescence a été assombrie par la mort du père et par celle de la mère, présentée au début du roman avec en arrière-plan la guerre. Nous sommes en 1915. Le jeune homme est amoureux de la belle Angelaine Kirouac qui semble bien l’aimer en retour. Devenu orphelin, Jean-Baptiste peut compter sur le soutien du bon docteur Grandmaison, de sa femme, de sa cuisinière Tonine, d’Armand, l’homme à tout faire du docteur, de Donat, le bedeau et fossoyeur, et de son grand ami Cyprien. Le portrait que trace Grosmaire de l’Acadie est idyllique. On penserait aux premières pages de L’Évangéline de Longfellow.
Mais la guerre est là. Des jeunes du village s’engagent, dont les deux fils du docteur. Jean-Baptiste et Cyprien les rejoignent le 28 juin 1916. Après leur formation militaire, les deux jeunes hommes sont finalement affectés au Corps forestier de l’armée canadienne. Le 28 mai 1917, leur bataillon s’installe en Franche-Comté, d’abord à Larderet, puis dans la forêt de la Joux. Si les noms des villages acadiens sont fictifs, ceux de la Franche-Comté sont réels.
Parallèlement, Angelaine est aux prises avec sa mère qui aurait souhaité qu’elle épouse Elfried Bellavance, un beau parti qui s’avérera être un bandit. En attendant, la relation entre la mère et la fille est si catastrophique qu’Angelaine trouve refuge, avec l’aide de son père, dans la maison déserte de Jean-Baptiste. De nombreuses lettres entre les deux amoureux alimentent le récit. On demeure surpris de la qualité du français de Jean-Baptiste, dont la scolarité a été minimale.
La vie militaire de l’incorporation à la libération et en particulier la présence militaire en Comté s’appuient sur une riche documentation, à tel point que le roman cède la place à l’essai historique et que Jean-Baptiste n’est plus au centre du propos. Les notes de bas de page abondent et la bibliographie est riche de sources… Manifestement, Grosmaire voulait raconter la présence des Acadiens dans cette région. On a l’impression que la trame dramatique n’est là que pour lui permettre de rappeler le rôle des Acadiens et d’évoquer la Première Guerre mondiale. On sent l’amour qu’il a conservé pour la région de sa jeunesse.
Acadissima n’arrive pas à arrimer le romanesque et l’essai historique. La trame romanesque est « traditionnelle » et, si les personnages sont intéressants, elle imagine une Acadie qui n’est là que pour le besoin de la « cause », tandis que l’essai est englué dans la trame dont il cherche à se libérer. Curieusement, autant la Comté apparaît réelle, autant l’Acadie décrite pourrait être remplacée par n’importe quelle région maritime du Québec, et ce n’est pas le fait d’entonner l’Ave Maris Stella qui crée l’Acadie.