Les récits de vie ont, ces temps-ci, le vent en poupe. En découle un éclatement des frontières entre réalité et fiction, des limites des genres et surtout un engouement pour le récit, qui, comme en témoignent les travaux d’Andrée Mercier, est de plus en plus pratiqué. Celui de Paul Savoie s’inscrit indubitablement dans ce courant. Certes, en littérature franco-ontarienne, le recours au vécu de l’auteur n’est pas chose nouvelle et nombreux sont les textes d’inspiration biographique. Le livre de Paul Savoie se démarque toutefois de la production passée. Franco-Manitobain d’origine, Franco-Ontarien d’adoption depuis plus de vingt-cinq ans, Paul Savoie explore ici le fondement de son être et, comme il l’écrit lui-même, il « se définit selon les pôles qui circonscrivent son être ». Ces pôles, nombreux et variés – l’espace, la langue, la religion, la famille, les amis, l’écriture – lui permettent donc de circonscrire sa conscience du monde, sa conscience de soi dans le monde et de se découvrir en relation avec le monde. Ainsi, et en dépit de certains pôles que l’on pourrait qualifier d’identitaires, il s’agit moins pour Paul Savoie de cerner son identité collective que de baliser son identité individuelle, de déterminer ce qui, dans sa vie, a concouru à faire de lui l’homme qu’il est.
Ce récit doit toute sa force et sa beauté à l’écriture de Paul Savoie. D’emblée, on remarque l’absence de majuscules et de ponctuation. Ce parti pris dénote bien l’esprit du texte et ne nuit en rien à la lecture qui s’avère un plaisir. Les chapitres, souvent très courts, tournent autour d’un élément particulier et sont dotés de titres souvent évocateurs : « ce que le vent dérange », « la seule vérité qui compte », « être sans souvenir ». On déplore l’absence d’une table des matières ; les réflexions apparaissent de façon apparemment aléatoire, aucun ordre chronologique ne régit leur organisation, les épisodes d’enfance et d’adolescence se mêlant à ceux de la vie adulte. Pourtant, il y a une progression, de la rage du début, « je ne sais même pas où commencer tellement j’ai besoin de défoncer quelque chose, tellement j’ai besoin de m’arranger pour que tout se fracasse », à l’acception de soi à la fin : « l’hybride que je suis ne sait plus quel nom se donner j’assiste sans cesse à mon propre baptême / tout s’opère en moi et m’échappe aussi / tout se décline le chiac le joual le français correct le franglais le métchiff le cajun / je revendique chacune de ces parties de moi-même c’est mon droit ».
Paul Savoie a su utiliser dans ce récit toute la force de son langage poétique pour produire un livre remarquable.