D’abord paru aux États-Unis en 1986 (là où le sein délictueur de Janet Jackson n’a d’égal que les attelages de Lynndie England, « l’exécutante d’Abou Ghraib), cet ouvrage étrangement inquiétant du philosophe Sylvère Lotringer, connu pour ses travaux sur Antonin Artaud, nous fait entrer au royaume de la perversion. Or, plutôt que de parcourir les carrières de grands pervers histrioniques et paranoïaques ou de faire une visite des donjons des clubs spécialisés en sadomasochisme, nous entrons dans une clinique comportementaliste de sexologie des États-Unis. Nous découvrons alors la perversion de la perversion, stimulée par une science proprement délirante censée guérir les délinquants (ou déviants, comme s’il y avait équivalence) sexuels. La technique miracle utilisée : la thérapie par la satiation ou par l’ennui (notez que l’étymologie de ce terme, in odio esse, renvoie à « être un objet de haine »). Élaboré à la fin des années 1960 à l’Université du Mississipi par Gene Abel et Judith Baker, ce traitement est ensuite poursuivi à Columbia.
De quoi s’agit-il ? Après avoir subi une série de tests, les délinquants sexuels (violeurs, pédophiles et autres) se voient exposés à un processus de « satiation », « rééduqués ». Plus question de les dégoûter par l’aversion. Désormais, on ira dans le sens de leur désir pour l’éteindre. La recette est simple. 1re étape : isoler ces individus et leur demander d’élaborer de manière détaillée leur fantasme. Pendant ce temps, une batterie d’appareils de mesure branchés au corps permet de vérifier si la vérité est dite ou simulée. Se fier à la parole ? Jamais ! C’est quand il bande que l’homme est pleinement lui-même. 2e étape : fournissons au pervers (dont on a oublié de fournir la définition) tout le bazar qui lui permettra d’assouvir ce qui le meut. Placé devant des revues ou des vidéos pornos, notre ami se masturbe et vient. Quelques minutes plus tard, le voilà tenu de se remettre au boulot. Et ainsi de suite jusqu’à ce qu’un jour, ça lui sorte par les oreilles. On dira que le traitement passe par la représentation. Les savants docteurs ont d’autres chats à fouetter, que diable ! L’important est d’apprendre enfin à bien se comporter en société. Le reste – l’obscénité du traitement, la plongée dans la logique cruelle de l’extermination – est de peu d’importance devant la nécessité d’une science devenue elle-même perverse, relais d’une économie fondée sur l’hygiène sociale. Business is business !