Chez les Grecs de l’Antiquité, la théorie était inévitablement sociale. En effet, la députation qui était chargée par une ville d’aller constater quelque chose qui avait eu lieu ailleurs devait, en revenant chez elle, témoigner de ce qu’elle avait vu. Autrement dit, elle avait pour fonction de faire passer un événement dans l’ordre du discours et de lui assurer une existence légitime dans le monde de l’histoire.
Même si notre conception de la théorie (un système plus ou moins organisé de concepts appliqués à un champ particulier d’étude) relève plutôt des catégories aristotéliciennes, elle n’en continue pas moins de porter cette nécessité originelle de l’observation (theôrein, « observer ») et du témoignage. C’est le cas de la critique littéraire, laquelle se caractérise d’abord et avant tout par le fait que son objet ‘ le texte ‘ est à la fois familier et inquiétant. Voilà le point de départ du livre de Brian T. Fitch, passionné des énigmes proposées par des écrivains comme Albert Camus, Maurice Blanchot et Samuel Beckett. La thèse est simple : le texte est l’Autre du lecteur et du critique. Sa nature d’objet langagier le distingue des objets non langagiers du monde, ce qui en fait un phénomène impersonnel. Pour entrer dans le texte, je dois donc nécessairement passer, selon Fitch, par un processus herméneutique. La critique littéraire aurait ainsi progressivement déplacé son horizon des distanciations spatiale et historique à une distanciation d’ordre ontologique, celle-ci étant liée à une vision « poéticienne » adossée à la stylistique de l’œuvre et de l’auteur. Tablant sur une altérité impliquant le dialogisme, l’acte interprétatif se transforme en mécanisme d’appropriation.
Bref, partant d’une définition hyper-traditionnelle du texte littéraire, Fitch étudie les principes de l’acte critique de même que l’art d’interpréter pour en arriver à formuler une théorie du métatexte critique, c’est-à-dire de « l’exposition du résultat de l’acte interprétatif sous forme de texte ». Difficile de faire moins original ! Annoncée comme une herméneutique nouvelle, cette théorie tout à fait banale, mais présentée avec tout le jargon techniciste, demeure à l’ombre de la littérature parce qu’elle ne parvient jamais à produire ce qu’elle promet.