Curieusement, les dernières œuvres de William Boyd m’avaient moins enchantée que les flamboyantes fresques des débuts. Chez lui, j’avais toujours admiré cette dualité entre souffle épique et sensibilité toute humaine qui donne à ses écrits la rare aptitude à susciter chez le lecteur à la fois l’enthousiasme et l’émotion.
S’il renoue avec les premiers romans, À livre ouvert est néanmoins d’un genre nouveau sous sa plume ; on pourrait qualifier ce récit de mystification littéraire, n’eût été le mot « roman » sous le titre, en page de couverture. N’empêche, c’est la première fois que William Boyd se joue ainsi du paratexte, accumulant les indices formels de véracité (bibliographie du protagoniste, références historiques, index) contribuant à augmenter l’« effet de réel » si cher à Roland Barthes.
Autre nouveauté, le style est décousu, parfois télégraphique, ce qui participe là encore à l’effet de réel, car il s’agit d’un journal intime. Ce qui donne du souffle, cette fois-ci, c’est la durée. Ces carnets sont en effet censés avoir été écrits sur sept décennies, ce qui fait du diariste Logan Montstuart un témoin privilégié du monde littéraire, artistique et politique de ce que l’historien britannique Eric Hobsbawm a nommé « court XXe siècle », ce XXe siècle historique qui s’étend de 1914 à 1991.
L’émotion que provoque ce magistral roman est d’un genre nouveau, elle aussi : certes, Logan Montstuart éprouvera des deuils tragiques propres à nous toucher, mais il en surmontera la douleur avec une admirable sérénité. Non, l’inédit est ailleurs, et le titre original du roman de William Boyd nous en livre la clé : Any Human Heart. Car, comme tout être humain et bien qu’il ait côtoyé les plus grands de ce siècle, Logan Montstuart aura incarné bien des espoirs déçus, bien des désillusions. Solitude, dénuement et vieillesse constitueront l’apothéose d’une vie à la fois extraordinaire et si banale, et ils seront décrits par William Boyd dans toute leur quotidienneté, avec une précision presque documentaire qui leur confère une étonnante force narrative.