Renverse du souffle, Atemwende, désigne le moment précis où s’inverse le souffle de la respiration, là où il s’arrête en quelque sorte. Dans le mouvement de la vie qui nous propulse au-dehors - expiration - et que nous ravalons sans cesse - inspiration -, une volonté s’efforce de perpétuer le souffle. Elle gît dans l’entre-deux, et la régularité de la renverse, sa mesure ou ses cassures de rythme, ses malaises, manifestent peut-être mieux l’existence particulière que le souffle qui jaillit en mots. Le chant serait l’émergence de cette existence dans l’espace que nous habitons tous « sous les bourrasques de métaphores ». Un chant ici dissonant, disharmonique, vacarme. Même écrit dans une langue nouvelle qui en soi l’invente, ce tournant (atem) du souffle (wende), sitôt qu’il est dit, se heurte à la densité d’un symbole, l’histoire du chant juif auquel est inévitablement lié le poète d’origine juive allemande. « Plus d’art de sable, plus de livre de sable, plus de maître. / Rien d’acquis aux dés. Combien / de muets ? / Dix-et-sept. // Ta question - ta réponse. / Ton chant, qu’est-ce qu’il sait ? // Dans la neige enfoui / Eig-en-oui, / È-e-i. »
On sait que les poèmes du recueil Atemwende ont été écrits durant les deux années qui ont suivi le premier internement psychiatrique de Paul Celan, entre 1963 et 1965. Le fait qu’ils n’aient été traduits entièrement que cette année et tous s’accordent sur la valeur du poète démontre la difficulté que posait l’interprétation de cette quête tragique de l’avant-signe.
Cette poésie néanmoins nous parle, te parle, « un cerveau neuf fleurit pour toi ». Parce qu’il n’y a pas de chant sans espoir d’un lendemain autre.