Confesser l’histoire et la contraindre aux aveux, voilà qui nourrit l’ambition de bien des enquêteurs, qu’ils soient journalistes ou romanciers. Assez peu parviennent à leurs fins, car les prédécesseurs ne furent pas toujours des incompétents ou des faussaires. Si Baranger réussit là où tant ne parviennent pas à ébranler les certitudes historiques, c’est qu’il a le génie de s’attaquer à des récits inoxydables ou à des légendes auxquelles le bon peuple s’est attaché d’irrévocable façon. Plus le récit est bétonné, plus il le ridiculise. On le lit en souriant, avec, pourtant, un doute inavouable et croissant : « Et s’il avait raison… »
Si Hemingway avait eu besoin d’un doigt ami sur la gachette, son suicide ne serait que mythe. Si Billy the Kid avait survécu aux balles des justiciers et autres chasseurs de primes lancés à ses trousses, ne pourrait-il pas meubler tardivement les rêves de jeunes admiratrices ? Si Presley avait évité de décéder au moment où il était bouffi et abruti d’amphétamines, ne pourrait-il pas, des décennies plus tard, participer à un concours d’imitateurs du King ? Et si James Dean, au lieu de ronger son frein et de surexciter sa moto lors des noces de celle qu’il aimait, se fâchait plutôt contre le garçon qui avait refusé ses avances, le veuvage de milliers d’admiratrices en larmes ne perdrait-il pas son sens ? Autant d’hypothèses farfelues que Luc Baranger se plaît à proposer à ceux et celles que les mythes granitiques privent des joies du doute.
L’écriture est musclée, raffinée, recherchée. Elle navigue entre le scepticisme souriant et le respect que mérite tout de même la mythologie. On prend autant de plaisir à savourer un style élégant et maîtrisé qu’à débusquer une certaine fragilité même au creux des réputations les mieux établies. Une série de réussites.