Il y a quatre ans, La neige tombait sur les cèdres, adapté ensuite pour le cinéma, faisait connaître David Guterson aux lecteurs francophones. Sur fond de mort suspecte, le roman traitait de la xénophobie haineuse qui secoue, dans les années 1950, un petit village de pêcheurs de la côte Nord-Ouest américaine où vit une importante communauté d’origine japonaise. La façon dont David Guterson abordait cet épisode douloureux de l’histoire des États-Unis – après Pearl Harbor, les immigrants japonais ont été enfermés dans des camps jusqu’à la fin de la guerre – était profondément originale.
Dans À l’est des montagnes, David Guterson récidive avec le traitement inédit d’un sujet qui n’est pourtant pas nouveau. Un septuagénaire, Ben Givens, chirurgien cardiologue à la retraite et veuf depuis peu, apprend qu’il se meurt d’un cancer du côlon. Il décide alors, pour épargner sa famille, de se suicider en donnant à sa mort l’apparence d’un accident de chasse. Ben quitte donc Seattle pour retrouver, à l’est des montagnes, le pays des vergers de son enfance. Mais la vie lui réserve encore bien des surprises Guterson raconte cette vie, qui se termine comme a contrario, sur le mode d’un roman d’apprentissage. Ben Givens ne se replie pas totalement sur ses souvenirs comme on pourrait s’y attendre. Il se lance dans un road novel – une carte de ses déplacements ouvre d’ailleurs le roman – où les événements et les personnages qui croisent ses derniers jours le tirent vers la vie. Au bout du compte, malgré l’imminence implacable de la mort – on n’est tout de même pas à Disneyland ! –, c’est elle, la vie, qui aura le dernier mot. Il y a quelque chose de christique, y compris une traversée du désert, dans cette remontée intérieure du personnage échelonnée sur trois jours avec, pour toile de fond, un paysage que David Guterson, qui est né et vit toujours dans cette région des États-Unis, décrit longuement.
Mais si le lecteur suit avec curiosité les aventures du vieil homme, il reste sur sa faim quant aux motivations profondes de ses décisions. Guterson semble tenir pour acquis que le lecteur les appréhende parfaitement alors qu’on ne comprend pas vraiment pourquoi Givens veut se suicider ni pourquoi il y renonce. On reste « à l’extérieur » du personnage ; à aucun moment, on ne parvient à cerner sa psychologie intime. Autre frein au plaisir de lecture, la traduction qui connaît des ratés. Ces réserves mises à part, À l’est des montagnes accroche et retient le lecteur jusqu’à la dernière page.