La critique des diktats religieux, notamment ceux de l’islam radical, a d’autant plus de pertinence lorsqu’elle émane de femmes et d’hommes de culture musulmane. Ce recueil de textes d’opinion en constitue un exemple admirable.D’origine tunisienne, Nadia El-Mabrouk a immigré au Québec en 1997. Elle dit avoir été conquise par la tolérance de la diversité de cette société et en particulier par la recherche de l’égalité entre les hommes et les femmes. Elle a accédé depuis à un poste de professeure au Département d’informatique et de recherche opérationnelle de l’Université de Montréal, un milieu composé d’une forte majorité d’hommes, où son intégration fut toute « naturelle ». Au moment des débats sur la Charte des valeurs proposée par le gouvernement du Parti québécois en 2013, elle était choquée par l’attitude de certaines personnes s’arrogeant le titre de porte-parole d’une hypothétique communauté musulmane et criant au racisme. Dans la foulée, elle décidait alors d’affirmer publiquement son attachement à la laïcité de l’État, condition essentielle de la liberté de conscience.Dans ce livre où sont regroupés un bon nombre de textes publiés depuis 2015, parfois en son nom propre et parfois au nom de l’Association Québécoise des Nord-Africains pour la Laïcité (AQNAL), l’autrice s’insurge contre la fabrication ou la perpétuation d’une image stéréotypée de certaines populations issues de l’immigration. Selon elle, lorsque des élus se parent de signes religieux pour soi-disant se rapprocher de groupes ethnoculturels, ils contreviennent à leur devoir de neutralité « en s’adressant, non pas à des citoyens mais à des croyants, et contribuent ainsi à instaurer une image biaisée des membres d’une communauté ». De même, elle note au passage diverses manifestations qui, sous le couvert d’une ouverture à la différence, sont assimilables à la promotion du port du voile islamique. Entre autres, en visionnant un reportage à Radio-Canada sur une avocate portant fièrement le hijab, elle se questionne sur l’absence du même type de reportage sur les femmes qui osent ne pas porter le voile.On trouve également, parmi les textes de Notre laïcité, des arguments de poids contre le cours Éthique et culture religieuse. Nadia El-Mabrouk était d’ailleurs du collectif d’auteurs à qui l’on doit l’ouvrage La face cachée du cours Éthique et culture religieuse, paru en 2016. À partir d’un examen des manuels utilisés en classe dans le cadre du cours, l’autrice met en lumière une « folklorisation » des communautés culturelles et une réduction du pluralisme des différentes religions, en contradiction avec les « vœux ‘pieux’ » des concepteurs du cours. À ce chapitre, elle note que « c’est bien souvent une femme portant le voile qui est choisie pour illustrer un propos sur l’islam. Or, l’imposition du voilement des femmes est une dérive récente de l’islam politique, qui ne fait pas partie des piliers de l’islam ». Cette identification de certains groupes à une religion et à des signes religieux entraînerait des dommages au sein des familles, notamment pour les membres de l’AQNAL. Plusieurs d’entre eux auraient en effet signalé des questions de leurs enfants, inquiets de ne pas correspondre à la norme après avoir été exposés au cours Éthique et culture religieuse.Enfin, El-Mabrouk se porte à la défense de la Loi sur la laïcité de l’État adoptée en 2019. Elle insiste sur l’importance d’interdire le port de signes religieux par les éducateurs et les éducatrices, autant en milieu de garde qu’en milieu scolaire, puisqu’il s’agit là de réellement protéger la liberté de conscience des enfants et des parents. Elle montre bien que l’option du libre choix pour tous d’afficher ses convictions religieuses, préconisée autant par le Parti libéral que par une frange de la gauche québécoise, réduit le vivre-ensemble à la cohabitation des droits individuels et mine la possibilité d’un projet social commun. Suivant une logique conséquente, El-Mabrouk dénonce l’usage du terme « islamophobie », qu’elle qualifie de « concept fumeux ».Les textes du recueil, selon une formule inusitée, sont accompagnés d’œuvres picturales de l’artiste Louis Robichaud, une galerie de portraits illustrant la diversité québécoise. Le livre étant le résultat d’un collage de textes précédemment publiés, autour d’un même thème, on éprouve parfois à la lecture une impression de redite. On peut souhaiter que Nadia El-Mabrouk continue d’approfondir sa pensée pour, éventuellement, la partager sous la forme d’un essai au plein sens du terme.
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