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Auteur/autrice : Neal
Georges-J. Arnaud : Dernier feuilletoniste français (entrevue)
On est toujours un peu surpris lorsqu’on entend dire qu’un tel a publié 100 romans, qu’un autre en a fait paraître 200, voire (pourquoi pas ?) 300. On se dit, sans même les avoir lus, qu’ils auraient dû en écrire moins et s’appliquer un peu plus, pas vrai ?
Quand il s’agit de Georges-J. Arnaud, on parle de plus 400 romans, qui lui ont valu des mentions dans Le livre des records Guinness, bien sûr, mais aussi (et surtout) plusieurs distinctions et prix littéraires, et . . .
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Le tumulte des mots absents (Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien)
« Le fantastique, c’est prendre le pouvoir sur le monde et le renverser. »
Anne Hébert
Je n’ai jamais lu Le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien. Et en écrivant cette phrase, je me dis en souriant : « Je suis loin d’être le seul ! » Il n’est même pas dans mon vieux Petit Robert Culture Générale… Eh bien ! Par contre j’ai vu la trilogie cinématographique . . .
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Marcelle Sauvageot (1900-1934)
Comme John Keats, Emily Brontë, Robert Louis Stevenson, Anton Tchekhov et Franz Kafka, Marcelle Sauvageot (1900-1934) a été emportée dans la force de l’âge par la « peste blanche », la tuberculose. Son œuvre unique, Laissez-moi (Commentaire), a connu l’épreuve du désert, faisant de brèves apparitions sur les rayonnages des librairies, sans parvenir à s’attacher l’attention du grand lectorat ni de la critique.
Des écrivains de premier ordre, tels Paul Valéry, Paul Claudel, Charles Du Bos, René Crevel, Clara Malraux et Heimito von Doderer, ont pourtant été éblouis par . . .
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Jean-Paul Dubois : L’art de la paresse (entrevue)
« Le banquet de la vie est devant nous et donc la seule question qui se pose, est celle de notre appétit. »
Lin Yutang, L’importance de vivre.Le bonhomme a belle allure. Cheveux longs, poivre et sel ou sel et poivre selon le point de vue, il affiche un sourire chaleureux mais discret, au milieu d’un visage basané. Il ne sourit pas inutilement comme ces gens nerveux qui, incapables de se contenir, exhibent sans raison tout le niais des rictus vides et rép . . .
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Renéo Lukic : Les nouveaux États issus de l’ex-Yougoslavie (entrevue)
L’historien et politicologue Renéo Lukic étudie la faillite des systèmes fédéralistes multiethniques et l’émergence des nationalismes en Europe centre-orientale. Depuis 1995, il est professeur à l’Institut québécois des hautes études internationales de l’Université Laval, après avoir précédemment enseigné au Slavic Research Centerde Sapporo (Japon), à l’Institut d’étudespolitiques de Paris et aux États-Unis dans les universités d’Atlanta, Charlottesville, New York et Boston, entre autres.
L’intervention de la communauté internationale
en Europe du Sud-est . . .Pour lire la suite, veuillez vous abonner. Déjà abonné(e) ? Connexion
Roland Jomphe : Poète et chantre de Mingan
Pêcheur fils de pêcheur. On croirait tracé d’avance le parcours de Roland Jomphe. Que faire sinon pêcher quand on naît à Havre-Saint-Pierre face à la mer et qu’on est tôt embarqué au côté du père ?
Roland Jomphe, de fait, sera pêcheur, mais aussi sacristain et secrétaire-trésorier de la municipalité. Surtout, il sera poète, héraut de la Minganie, historien chaleureux de l’archipel de Mingan. Mort en 2003 à l’âge de 86 ans, il vient d’être honoré par Parcs Canada qui a donné son nom à un sentier de l’île Niapiskau. L’événement survient vingt ans après que la création du parc national de l’Archipel-de-Mingan est intervenue pour protéger le site de la voracité d’intérêts privés. L’hommage, fait inusité, s’adresse à un poète.
Pour diverses raisons, Roland Jomphe concentre une bonne partie de sa production poétique entre 1978 et 1987. Entre autres bouquins, De l’eau salée dans les veines (1978), À l’écoute du temps (1983), Amour et souvenance au cœur de la Minganie (1986), Sur le rivage de la vie (1986), À l’ombre d’un village (1986), « Confidences » des îles (1987). Dans certains cas, le poète offre au soutien de ses éloges ses propres photographies. Plusieurs sont magnifiques. S’ajouteront diverses collaborations avec les services fédéraux de l’environnement et l’administration des Parcs nationaux et, au bénéfice de touristes de toutes provenances, des centaines de conférences sur le patrimoine de Havre-Saint-Pierre. On comprend sans peine les hommages accumulés sur sa tête : Ordre du Canada, Ordre du mérite nord-côtier, Ordre du mérite de l’Association France-Québec, Ordre national du Québec… Son sens de la continuité a aussi incité Roland Jomphe à constituer à son nom un fonds patrimonial aux Archives nationales du Québec.
Souplesse et continuité
Né en 1917, Roland Jomphe est révélé à l’ensemble du Québec par une émission à l’écran de Radio-Canada en février 1978. Le réalisateur écrit : « Des cinquante-quatre témoins apparus à l’écran durant les deux ans qu’a vécu Sous le chêne de Mambré, Roland Jomphe aura soulevé le plus d’enthousiasme et de sympathie. À cause de son authenticité, de sa simplicité, de sa poésie » (De l’eau salée dans les veines, 1978). L’entrevue constitue la base de ce petit livre, le premier (à ma connaissance) à porter la signature de Roland Jomphe. L’espace que laisse la transcription de l’émission, Roland Jomphe le meuble avec une série de poèmes. Ce sera le départ d’une nouvelle vie. Ce qui était jusqu’alors réservé aux amis et à l’entourage immédiat entre dans la littérature québécoise. Sur cette lancée, Roland Jomphe publiera, souvent à compte d’auteur, une dizaine de livres multipliant les poèmes ou les descriptions lyriques des îles de la Minganie.
Si Roland Jomphe a abandonné la pêche, la mer s’impose toujours à son regard et stimule inlassablement sa ferveur. Il n’est pas le seul à avoir pivoté vers autre chose. Depuis la découverte de titane à Havre-Saint-Pierre, le bruit de l’usine emplit le ciel et la circulation des vraquiers convertit les pêcheurs en mineurs. Depuis 1948, la mer n’est plus la principale dispensatrice de travail. Roland Jomphe, quant à lui, s’est toujours tenu loin de la mine. Il s’est adapté, mais quelque chose le heurte dans la désinvolture de ceux qui, comme la Compagnie de la Baie d’Hudson ou Dome Petroleum, ont privé les îles de leur sérénité et n’ont vu en elles qu’un prétexte à commercialisation. Il a observé la mutation de son monde avec, sa poésie en témoigne, beaucoup de nostalgie.
Solitaire et lyrique
À l’évidence, 1977 a rudement secoué Roland Jomphe. Son épouse Adeline meurt en novembre, alors qu’il double lui-même le cap de la soixantaine. Publié l’année suivante, un poème intitulé « L’incompris » témoigne d’un ébranlement sans pareil. « Au jardin de ma vie il y avait sept fleurs / Mais la plus belle était poussée depuis longtemps / […] Comme le temps s’en va souvent sans rien nous dire / Les autres fleurs y ont changé comment le dire / Mais le destin qui nous poursuit n’a rien compris. » Roland Jomphe fournit lui-même la clé du poème dans le même recueil, De l’eau salée dans les veines : « Sept fleurs / 6 enfants et mon épouse // Incompris / Lorsque je suis devenu seul, à cause du décès de mon épouse, je me suis aperçu que mes enfants ne m’avaient pas compris, le garçon ne savait pas si je m’adonnerais avec sa femme. Ma fille ne savait pas si je m’adonnerais avec son mari. Moi je croyais que je pourrais m’adonner avec n’importe qui ».
Page douloureusement explicite et dont on cherche vainement l’analogue dans l’œuvre de Roland Jomphe. Peut-être des intimes parviendraient-ils à sentir un ange passer dans le frémissement de tel vers, mais jamais plus Roland Jomphe ne débridera la plaie. Jamais le poète ne reviendra sur ces phrases qui résonnent comme un glas. Alors que la femme, dans tant d’explorations poétiques, polarise la pensée, elle n’occupe aucun espace dans l’œuvre de Roland Jomphe. Pour lui, contrairement à d’autres, les yeux d’Elsa appartiennent à un monde intime dont il tait pudiquement les pulsions.
« La mer, toujours recommencée… »
Face à la mer, tous ne deviennent pourtant pas des Gilles Vigneault. Dans le cas de Roland Jomphe, l’éclosion d’un talent de poète détonne de façon particulière, car l’instruction de départ demeure rudimentaire et le milieu dépourvu de ressources littéraires. Interrogé sur son curriculum, l’auteur se dira, sourire à la clé, « diplômé de l’université des grands fonds ». Une nuance s’impose pourtant : l’enfant Roland Jomphe reçut en cadeau deux tomes de l’Encyclopédie de la jeunesse. C’était peu, mais quand même suffisant pour que Victor Hugo envahisse par ses images et ses rythmes l’imaginaire de l’adolescent. Quant à l’école, elle présentait la particularité de regrouper tous les garçons en une seule classe et de faire coïncider la fin de l’instruction obligatoire avec la venue des 14 ans ! Au matin de ce jour, le jeune garçon quittait l’école en affirmant que son cours était fini ! Roland Jomphe s’estime chanceux : « Comme mon quatorzième anniversaire arrivait au moins d’août, j’ai pu finir mon année… »
Le bagage proprement technique est donc mince. Roland Jomphe s’efforce d’écrire selon les règles de la versification traditionnelle et ne se hasarde que rarement en direction du vers libre. À mesure que se déploieront les vocations d’historien et de guide, il mêlera toutefois plus souvent poésie et prose. Il affectionne particulièrement le sonnet, mais il ne maîtrise guère la prosodie. Césure, hiatus, élision sont autant de pièges que n’identifie pas toujours sa candeur. Il cultive plutôt la simplicité que la rime riche. Son oreille est cependant assez bonne conseillère pour qu’on pardonne la césure ratée (deuxième vers de ce quatrain) et la rime chétive. « La mer est au montant au bord de mon village / Déversant sur la plage les souvenirs de tout / La mer est au baissant retournant vers le large / Les débris de la vie aux rêves de partout. »
L’inspiration, Roland Jomphe la puise dans la nature, dans les objets familiers, dans l’évocation des prédécesseurs. Une vieille lampe, surgie de l’ombre après des années de négligence, prend ainsi la parole et rappelle qu’elle aussi quitta la terre ferme pour participer à la pêche. « Fixée au mât d’un bon bateau / Dans la cuisine dessus la table / Avec la houle au fil de l’eau / Et la saison non charitable // […] Je fus témoin de la vaillance / Avec la pêche et la misère / Je fus témoin de la souffrance / Avec l’époque de naguère. »
À ce goût de faire parler les choses, les éléments, les astres et les lieux, Roland Jomphe succombera souvent. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme ? » demandait déjà un devancier dont Roland Jomphe ne sut peut-être rien, mais dont la pédagogie lui convient. La vieille lampe a raconté son parcours et ses émotions, l’épinette parlera, la lune également, les îles aussi. Le procédé engendre quelques-uns des textes les mieux réussis.
Difficile de savoir si, à côté des sources d’inspiration que lui fournissent la nature et la mémoire, Roland Jomphe met aussi à contribution la littérature et, plus précisément, la poésie. On peut penser, en constatant à quel point les ouvrages se multiplient au cours de 1986 et 1987, que la rédaction s’est étalée sur une plus longue période et que bien des textes prirent le chemin du tiroir en attendant que surgisse le projet d’une publication. Cela laissait du temps pour la maturation, la lecture, la consultation, les corrections. On sait déjà, par les confidences de Roland Jomphe sur son enfance, que l’enfant avait mémorisé les poèmes de Hugo publiés dans l’Encyclopédie de la jeunesse. À lire « Le bateau blanc » (d’ailleurs publié dans deux ouvrages différents de Jomphe), on peut soupçonner d’autres influences et même d’autres mimétismes : « C’était un bateau blanc qui portait bien la brise / Moulé dans le pays, le pays de chez-nous / Une barge de pêche en épinette grise / Un beau bateau de bois au moule de chez-nous ».
Mots et thèmes
De sa Minganie et de son passé de pêcheur et de fils de pêcheur, Roland Jomphe exploitera avec fierté les richesses linguistiques. Vocabulaire généreux, inimitable, typé. Dans telle occasion, conscient que son lecteur peut tout ignorer du réel dont on lui parle, Jomphe s’arrête et raconte, moitié sur le ton de l’explication moitié sur celui de l’évocation poétique, ce que sont, par exemple, les bottes sauvages. C’est le père qui les taille à même la résistante peau du loup marin, mais ce sont les enfants qui, à force de jeux, les imbibent d’eau et les laissent ensuite sécher près du feu et durcir comme béton. Au père revient alors la tâche d’assouplir le cuir revêche en utilisant le manche de la hache, puis en huilant, graissant, massant la chaussure. Dans d’autres cas, tant pis pour nous, terriens incultes, les mots passent et courent sans s’attarder. « Au jour qui se fait / La faim se fait sentir / Ah qu’elle est bonne / La crêpe du large / Avec un peu de mélasse / Et du bon thé noir / Dans ce tableau du matin / Le grand-père et la pipe / La fumée du petit poêle / Qui s’élève vers le haut / En arrière de la barge / Le canot qui se roule / Le tablier ciré jaune / Les manches retroussées / Les lignes, les manigaux / Les coques, le lançon / Les morues, le hareng / Les mouettes, les goélands / Les huards, les margaulx / Les godes, les calculeaux / La mer, la houle, les pourcies / La baleine soufflant la vapeur / À la surface de l’eau. »
Roland Jomphe n’est d’ailleurs pas de ceux qui remettent en question les expressions qui ont tôt marqué sa vie. Chaque fois qu’il cite Jacques Cartier et parle de la Côte-Nord comme de la terre que Dieu donna à Caïn, il écrit Caën, persiste et signe. Quand il recourt, et il le fait cent fois plutôt qu’une, à ce superbe mot qu’est encalminer, il écrit encalmé, ce qui, n’en déplaise aux puristes, est un assez beau mot lui aussi. Un mystère plane cependant, du moins pour moi, sur le mot valeur. À force de le voir surgir dans tous les contextes, on devrait pouvoir en dégager le sens. Je déclare pourtant forfait. « Ma belle fleur y est tombée un jour d’automne / Remplie d’amour et de valeurs où j’en frissonne… » ; « Avec mes monolithes et la grandeur de mes valeurs / J’ai accueilli chez moi beaucoup de visiteurs » ; « Il ne reste qu’un signe / À l’oubli des valeurs / En omettant l’insigne / La croix et les douleurs » ; « Par la nuit suivant la saison / La mer y portant la valeur / La vague y lavant le glaçon / Caressant la blanche couleur ».
Rédigés ou du moins publiés au cours des premières années de veuvage, les poèmes de Roland Jomphe parlent, certes, de la beauté de la Minganie et des exigences de la mer, mais le paysage intérieur reçoit aussi son dû. La nostalgie, le vieillissement, l’éternité, la fatalité, la foi, la patience, un certain ennui en attendant la fin, autant de thèmes aux mille variations.
Ces livres sont en vente à : Variété Jomphe, 843 boulevard de l’Escale, Havre-Saint-Pierre (Québec) G0G 1P0 ; tél. : (418) 538-2033.
EXTRAITS
L’ÉCOUTE DU TEMPS
Le jour descend comme il se lève
En emportant chaque journée
Passe le temps passe le rêve
En emportant chaque pensée
À l’écoute du temps, p. 7.LA SOLITUDE
La solitude est la compagne de ma vie
Elle est chez-nous comme pour moi une habitude
Au fond de l’âme elle est entrée comme une amie
Dans la pensée ou le secret d’incertitudeLa solitude est la compagne de mes jours
Elle est chez-nous elle est pour moi comme une amie
Au fond du coeur dans le courant de tous les jours
Elle est souvent un grand sujet de nostalgieLa solitude devient plus lourde avec les jours
Elle s’attache au plus profond de mes amours
Selon le temps qui se poursuit autour de moiLa solitude est la compagne de ma vie
Elle s’est ancrée au fond de moi avec la vie
Au souvenir de la jeunesse et de la foi
À l’ombre d’un village, p. 60.LE MIRAGE
Sur le chemin des pauvres gens
Longtemps au temps j’y ai passé
Sur le filet ou sur le temps
Longtemps autant j’ai écoutéAu fil du temps et des marées
Dans le courant et dans le vent
Avec les voiles et les pensées
Filant la brise bien souventDans le décor ou le grand large
II n’est resté que le mirage
Avec le rêve des saisonsL’amour la mer comme l’esprit
Le jour le soir comme la nuit
Dans le mirage des saisons
À l’ombre d’un village, p. 61.L’INCONNU
Dans le silence et l’inconnu
Par les récifs et les cailloux
On y médite le connu
Aux jours heureux d’un soleil douxDans le secret de nos amours
On voit souvent venir le soir
À l’occasion de nos beaux jours
Sur une route vers l’espoirDans la marée de nos saisons
Le temps paraît déjà très loin
Et on y voit bien des leçons
Dans le murmure du matinSur un courant de liberté
File l’esprit au fil de l’onde
Et dans le temps passe l’été
En contournant le tour du monde
À l’ombre d’un village, p. 89.SOUVENIR LOINTAIN
On a connu les hirondelles
En y voyant lames nouvelles
Par les courants
Par les hauts fondsOn a connu saisons nouvelles
En écoutant autres nouvelles
Par les grands vents
Par les grands fondsOn a connu des soirs d’hiver
À la chandelle ou sans lumière
Par les grands bois
Par les grands froidsOn a connu bien des journées
En regardant dans les marées
Par les grandes voiles
Par les étoilesOn a connu lunes nouvelles
À y attendre des nouvelles
Sur le chemin
Sur le destin
Amour et souvenance au cœur de Minganie, p. 89.ÎLE À MOUTON
Située au nord de l’Île à la Chasse,
À plein milieu du Havre des Betchouanes.On m’appelle Île à Mouton.
Je n’ai pas de boisé
je n’ai pas d’attrait particulier.Je suis toute petite,
Couverte de foin et de verdure.Je fais partie de l’archipel
Tranquille et entourée d’eau salée.Je pourrais servir à garder les moutons,
Ils pourraient vivre chez-moi
À l’abri des loups.Les loups qui viennent rôder autour de moi
Ne sont que des loups-marins
Sans danger pour les brebis.
« Confidences » des îles, p. 45.HAVRE-SAINT-PIERRE
Vous connaissez Havre-Saint-Pierre
Petit village au bord de l’eau
Dans une allure toute fière
C’est un endroit qui est très beauFondé par des Madelinots
Anciens pêcheurs à leurs métiers
Par les goélettes et les canots
Comme chasseurs sur les sentiersIls sont venus à l’autre siècle
Depuis ce temps que de changements
Et la valeur de notre siècle
Y est chargée d’événementsAncienne Pointe-aux-Esquimaux
Loin de la ville bien tranquille
Les avions et les bateaux
Sur un chemin bien difficilePrès de la mer du Saint-Laurent
C’est le village où nous vivons
Avec amour ou agrément
Sur la côte nord nous habitonsA l’héritage des anciens
Un peu d’amour et de vaillance
En descendance d’Acadiens
Vers l’avenir et l’espéranceMadelinots : Les anciens venus des Îles de la Madeleine.
Pointe-aux-Esquimaux : Nom que portait Havre-Saint-Pierre avant 1927.
De l’eau salée dans les veines, p. 88.L’UNIVERSITÉ DES GRANDS FONDS
Au sud : Anticosti, la Gaspésie
Au nord : La Côte, la Minganie
À l’est : Terre-Neuve, l’Océan
À l’ouest : Québec, la Province, le PaysEn haut pas de couverture
Pas de plafond, la nature
L’espace, la hauteur, l’infiniL’ÉCLAIRAGE
La nuit, les étoiles, la lune
La lumière de tout le monde
Au clapotis de la secondePas de fenêtres, pas de rideaux
Pas de châssis, pas de barreauxPas de murs, l’horizon, le mirage
La brume, les nuages, le grand largeUn seul étage, pas d’escalier
Tout le monde au même plancher
Sur le rivage de la vie, p. 53.ATTENDRE
Attendre au coin du temps un peu de vérité
En face de la foi l’amour ou le mystère
Au bout de la journée avec sincérité
Aux limites de l’âme le rêve ou la lumièreAttendre un jour de moins attendre un jour de plus
À l’ombre des instants au détour des journées
L’espoir ou l’incompris la vie ne paraît plus
En écoutant le temps au fond de ces annéesAttendre en écoutant attendre en regardant
Attendre en s’endormant attendre en s’éveillant
Attendre en attendant attendre l’impossibleComme la foi est sans limite au bout du temps
Attendre encore attendre autant attendre tout le temps
Attendre l’impossible devant l’inaccessible
Sur le rivage de la vie, p. 73.LA VIE EST UN BATEAU
La vie est un bateau en route dans le temps
Sur une mer sans fond s’en allant vers les cieux
Naviguant dans l’espace en rêvant de printemps
Laissant ses passagers au pays des aïeuxDes arrêts sans escale à travers les voyages
Sur des quais inconnus se débarque la vie
Au mystère du néant se remplacent les visages
La lumière ou les ombres à chacun sa patrieQuelques fois on y pense en parlant des années
Quelques fois on y pense au reflux des marées
En marchant sur la grève d’un village connuLe bateau de chacun continue son chemin
Imprimant son histoire au courant du destin
Dans la foi et l’espoir traversant l’infini
Sur le rivage de la vie, p. 81.LA MINGANIE
Dans la trace sans fin un reflet d’espérance
En face de l’avenir amour et nostalgie
Pendant que la pensée écoute la romance
Au chemin du destin mirage et minganieEn écoutant la marée roulant sur le jour
Les printemps et le temps se roulent dans les rêves
Murmurant à la vie une note d’amour
Comme vagues de mer se roulant sur les grèvesÀ l’horizon de mon village ou du pays
Comme autour de la vie roulant sur les amis
Les siècles du passé ici semblent nous direAvec les gens d’ailleurs aux rives de chez-nous
Le souvenir se marque aux rêves ou aux remous
Comme un grand livre ouvert à qui veut bien y lire.
Sur le rivage de la vie, p. 85.Paul-Marie Lapointe : Le verbicruciste incendiaire
Seconde rétrospective poétique de Paul-Marie Lapointe, L’espace de vivre résume une vaste enquête sur l’art, le langage et le territoire mexicain. Entre les mots et les choses, est-il si nécessaire de choisir ?
En 1971, la rétrospective Le réel absolu de Paul-Marie Lapointe mettait en évidence l’ampleur et l’originalité d’une œuvre amorcée en 1948. En plus des désormais classiques Choix de poèmes et Pour les âmes, l . . .
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Abondance aux extrêmes : Ou l’album ou le long récit
Étrange phénomène, comme plusieurs de ceux qui agitent le monde de la littérature offerte aux jeunes, ce trimestre propose soit des albums soit des textes qui exigent du souffle. Peu de livres mitoyens. N’y voyons pas trop vite une tendance lourde, car telle cuvée multiplie les enquêtes, la suivante les joyeux délires, une troisième l’insolite.
Défis et taquineries
Même par temps calme, le chien Galoche est survolté. Que dire s’il est ébranlé ! Dans Galoche en état de choc1 d’Yvon Brochu et de David Lemelin, il n’est pas plus brave que d’habitude, mais le complot dont il flaire les préparatifs le porte à se dépasser en interventions intempestives. Même sa maîtresse Émilie ne sait plus comment protéger ses secrets contre cette paranoïa canine. Écriture alerte, claire, adaptée.Dans Grouille-toi, Nicolas !2 de Gilles Tibo et Bruno St-Aubin, le jeune héros, qui ressemble probablement à plusieurs de ses contemporains, n’a pas le rangement comme priorité. Au moment de quitter la maison pour la patinoire, c’est la succession des inquiétudes et des courses. Il ne trouve rien, ni chandail, ni casque, ni patins, ni bâton… Autant de prétextes que saisissent les reproches familiaux : « Nicolas, si tu rangeais tes affaires… » Heureusement (?) pour Nicolas, les parents aussi égarent des choses. L’histoire, fine et souriante, éveille les doutes nécessaires sans tourner à la leçon de bonne conduite.
1. Yvon Brochu et David Lemelin, Galoche en état de choc, FouLire, Charlesbourg, 2004, 131 p. ; 8,95 $.
2. Gilles Tibo et Bruno St-Aubin, Grouille-toi, Nicolas !, Scholastic, Markham, 2004, 32 p. ; 8,99 $.
Papa se met en quatre d’Hélène Riff aborde le thème des conclusions hâtives. Quand la mère s’absente pour un court voyage, le père lance la ribambelle d’enfants dans un ménage exhaustif. Et on balaie, et on lave, et on frotte. Le résultat est magnifique. À une exception près : au milieu de la grande pièce, une tache s’affiche avec insolence. Papa se fâche, presse le coupable de passer aux aveux, menace tout le monde. Il a alors droit à une salve de « C’est pas moi ! » qui le met en fureur. Il expédie tout le monde au lit et s’attaque personnellement à la tache. En vain. Lui aussi ira se coucher, découragé. Au matin, le mystère est levé : la tache n’était que l’ombre du papier tue-mouche accroché au plafond. Papa est d’autant honteux qu’en frottant avec trop de détermination il a usé le parquet et… créé une vraie tache. Illustrations fascinantes, scénario ingénieux, leçon bien tirée. On s’étonne que papa songe à la raclée pour punir la marmaille.
Hélène Riff, Papa se met en quatre, Albin Michel, Paris, 2004, 48 p. ; 32,95 $.
Robert Munsch fait partie du décor des jeunes, mais on en savait peu sur ses façons de faire et sur l’identité de ses collaborateurs. Les six histoires de l’album Le monde de Munsch apportent les précisions souhaitables. Munsch conserve son rôle de conteur, mais la « coloration » change selon les illustrateurs Michael Martchenko, Eugenie Fernandes, Alan et Lea Daniel. On constate que l’auteur cueille les idées partout où il passe et s’inspire de ce que les enfants eux-mêmes content et vivent. Il s’agit d’une « rencontre » de maniement délicat. Un cran plus loin et on détruirait le plaisir de la lecture pour stimuler la mise en marché.
Robert Munsch, Michael Martchenko, Eugenie Fernandes, Alan et Lea Daniel, Le monde de Munsch, trad. de l’anglais par Christiane Duchesne, Lucie Duchesne, Cécile Gagnon et Martine Faubert, Scholastic, Markham, 2004, 176 p. ; 24,99 $.
Chaque enfant vit l’expérience quand il apprend à lire : les lettres forment des mots d’où surgit une histoire. Mais ce n’est pas chose facile que d’affronter des lettres qui refusent de révéler leur identité. Pour Ludovic dans Le chevalier de l’alphabet de Louise Leblanc et Marie-Claude Favreau, c’est une période d’humiliation et de désarroi. Les autres comprennent, mais pas lui. Même les parents ignorent le drame. Seul le grand-père reçoit la confidence. Mais que faire, puisqu’il est lui-même analphabète ? Entre le grand-père et Ludovic s’établira quand même une connivence qui mènera à l’indispensable décodage. Récit doux et intelligent, émouvante amitié qui transforme deux faiblesses en une force.
Louise Leblanc et Marie-Claude Favreau, Le chevalier de l’alphabet, La courte échelle, Montréal, 2004, 32 p. ; 15,95 $.
Le petit professeur Ombilic a décidé de tout dire au sujet de l’Envie de pipi. Clarification utile devant l’intérêt des enfants pour tout ce dont les adultes hésitent à parler. Le personnage créé par Angèle Delaunois et François Thisdale ignore ces pudeurs et ces gênes. Un fois admis que l’enfant a souvent soif et que son ventre ressemble à un aquarium, la question surgit : où va toute cette eau ? Le ton est net, le dessin clair, les mises en garde offertes sans lourdeur. Les anomalies dont souffrent certains ne doivent pas être un prétexte à la cruauté. Petit album à intégrer très tôt au bagage familial.
Angèle Delaunois et François Thisdale, Envie de pipi, L’Isatis, Montréal, 2004, 32 p. ; 11,95 $.
D’un cœur à l’autre
Qui pourrait comprendre mieux qu’un romantique pigeon l’amour qui, à distance, émeut Edgar le coucou et Emma la girouette ? Dans Les amours de monsieur Edgar, le coucou voit de loin Emma danser au rythme des vents ; d’aussi loin Emma entend Edgar souligner le passage des heures. Grâce au pigeon, Edgar et Emma s’approcheront l’un de l’autre. Le récit de Christiane Duchesne est magnifique de délicatesse et d’humour, le dessin de Pierre M. Trudeau transforme Edgar et Emma en un couple inattendu et émouvant.
Christiane Duchesne et Pierre M. Trudeau, Les amours de monsieur Edgar, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 8,95 $.
Dans Les trouvailles d’Adami de Louise-Michelle Sauriol et Leanne Franson, pas facile pour le garçon de quitter son village nordique et de s’habituer à la ville. Les études de sa mère oblige pourtant à cette transplantation temporaire. Adami s’étonne du gabarit des arbres, des barreaux autour de la plate-bande, de la discrétion des colibris, des néons criards qui occultent les étoiles, des chiens urbains qui domestiquent les humains… Pédagogie aux multiples richesses. D’une part, il n’est jamais trop tôt pour apprendre qu’existent différents regards et que chacun lit le réel à travers son filtre ; d’autre part, le fait que le livre soit bilingue (français et inuttitut) met cette « souplesse du regard » à la disposition des enfants de deux cultures.
Louise-Michelle Sauriol et Leanne Franson, Les trouvailles d’Adami, traduction en inuttitut de Sarah Beaulne, Éditions du soleil de minuit, Saint-Damien-de-Brandon, 2004, 24 p. ; 8,95 $.
Grand-papa Giacomo de Cécile Gagnon et Geneviève Després fait voir la distance entre le grand-père attaché aux oliviers de son Italie et sa descendance émigrée dans les neiges québécoises. Distance culturelle et linguistique. Le texte, en plaçant en parallèle le français et l’italien, accentue le décalage et l’espoir de retrouvailles. Qui ira vers l’autre ? Le grand-père qui redoute l’avion ou les jeunes générations aisément plus mobiles ? Avant que tombe la décision, on aura rencontré la tramontane dont la menace plane toujours sur les oliveraies. Bon équilibre entre le besoin de liens et les adaptations exigées par la vie.
Cécile Gagnon et Geneviève Després, Grand-papa Giacomo, traduction en italien d’Evelina Mosetti, Éditions du soleil de minuit, Saint-Damien-de-Brandon, 2004, 24 p. ; 8,95 $.
Le Musée national des beaux-arts du Québec poursuit son effort pour révéler aux jeunes les collections accumulées dans des établissements réputés austères. Un sixième album intitulé Joséphine et le vieux sculpteur ressuscite une figure méconnue de la sculpture québécoise : Jean-Baptiste Côté. À en juger par les quelques pièces retracées et reproduites, l’hommage de John R. Porter à Jean-Baptiste Côté est mérité. Par ailleurs, les détails sur le sculpteur sont si rares et ténus que le conte en est réduit à une hypothèse peu nourrissante : celle d’une amitié entre le personnage et une fillette au profil flou. Les très belles illustrations d’André-Philippe Côté rachètent toutefois ces approximations en recréant l’atmosphère de l’époque : atelier intime, défilé de la Saint-Jean, religieuses au cimetière, bestiaire personnel de l’artiste… Vulgarisation heureuse, mais conte difficile à étoffer.
John R. Porter et André-Philippe Côté, Joséphine et le vieux sculpteur, Musée national des beaux-arts du Québec,
Le réel qui s’impose
La vie, c’est aussi bien ce qui bouge que ce qui émeut. Grâce à un éditeur qui valorise au plus haut point les sciences naturelles et le respect de l’environnement, la série « Savais-tu ? » en est à son vingtième titre. Les coyotes d’Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar rejoint Les corneilles, Les anguilles, Les taupes… L’ineffable Sampar étale encore une fois son art de mettre de la chair et de l’humour autour d’observations qui auraient pu demeurer sèches. Lire un des vingt titres, c’est s’ouvrir à un immense plaisir.
Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar, Les coyotes, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 64 p. ; 7,95 $.
À la fois encyclopédie aux dimensions abordables, ouvrage de référence fiable proposant d’ingénieuses activités scientifiques, l’Atlas de l’univers alimentera les travaux de recherche requis par l’école, comblera la plupart des curiosités juvéniles et mettra à jour les notions sur l’exploration spatiale. L’information est abondante, ordonnée et limpide. Les théories, celles du Big Bang et du Big Crunch comme celle d’une expansion éternelle de l’univers, sont présentées pour ce qu’elles sont : des hypothèses plausibles et non pas des certitudes définitives. En ce sens, l’ouvrage condense des renseignements vérifiés et initie à la culture scientifique et à ses doutes.
Collectif, Atlas de l’univers, Québec Amérique, Montréal, 2004, 80 p. ; 18,95 $.
C’est un dur versant de la vie qu’aborde Félix dans Les perdus magnifiques de Charlotte Gingras et Geneviève Côté. La mère partie, le père en loques, sur qui s’appuyer ? Affection et sentiment de culpabilité incitent le père à un geste merveilleux et équivoque : un chiot viendra tenir compagnie à Félix. L’enfant n’est pourtant pas pleinement rassuré. Qu’a-t-il fait pour provoquer le départ de sa mère ? Doit-il redouter celui de son père ? Toujours attentive aux chagrins discrets et merveilleusement habile à confier aux mots ce qu’on se murmure à peine à soi-même, Charlotte Gingras décide, après avoir sans doute consulté Félix, de donner au chiot le nom de Perdu. De ce nom, de cette amitié à la nostalgie avouée surgiront, pour le père, le fils et le troisième « perdu », des possibilités de renaissance. Simple et doux. Magnifique.
Charlotte Gingras et Geneviève Côté, Les perdus magnifiques, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2004, 79 p. ; 8,95 $.
La médiatisation souvent lourdaude des jeunes vies écourtées par d’incurables maladies n’empêche pas les sentiments authentiques de nous atteindre au cœur. Dans Kamylle et Mélanie, la journaliste Sonia Sarfati évoque, avec empathie et raffinement littéraire, les courtes échéances que des cancers injustes imposent à des enfants. Devant la mort qui se trompe de génération, Sonia Sarfati regarde, écoute, admire la sagesse des jeunes victimes. Nul ne manque à ses engagements, pas plus les parents qui s’épuisent en soins et risquent d’indisposer les autres enfants de la famille que le personnel hospitalier qui consent lucidement à des attachements voués à un bris prochain. Il n’en demeure pas moins que les deux fillettes et leurs familles tiennent farouchement à quitter l’hôpital pour que la mort survienne en terrain familial. Récit qui honore le journalisme.
Sonia Sarfati, Kamylle et Mélanie, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 238 p. ; 16,95 $.
Enquêtes çà et là
L’histoire du Fils de Bougainville de Jean-Pierre Guillet et Julie Rémillard-Bélanger sert de toile de fond. Que l’explorateur Louis-Antoine de Bougainville ait aimé autrefois une Autochtone et lui ait laissé un enfant, cela est possible. Que Rowi, descendant métissé de cette union, y ait perdu le mépris indien pour le vertige, cela aussi se peut. Les choses se compliquent, cependant, quand Rowi apprend qu’une descendante européenne du même Bougainville est chargée de rapporter à Montréal une plante décorative cueillie et rendue célèbre par l’explorateur. Rowi estime que son ancêtre aurait dû manifester moins d’intérêt pour les fleurs et davantage pour sa compagne iroquoise. L’auteur, fort bien documenté, saura réconcilier la fierté de Rowi et la candeur de la visiteuse.
Jean-Pierre Guillet et Julie Rémillard-Bélanger, Le fils de Bougainville, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 126 p. ; 8,95 $.
Les ingrédients qu’utilise Le ricanement des hyènes requièrent autant de doigté qu’une caisse d’explosifs. Heureusement, Camille Bouchard sait mêler audace et raffinement, franchise et sens aigu des nuances. Cela vaut aux jeunes un bouquin sans complaisance et une initiation aux délicats affrontements entres les cultures et les religions. Les Occidentaux y sont, comme dans la vie, de plusieurs types. Certains offrent aux Africains une aide médicale sans verser dans l’arrogance ; d’autres, qui prétendent agir au nom d’une foi supérieure, manipulent honteusement les populations. Camille Bouchard ose porter toutes les hypothèses à l’avant-scène. Il sait aussi, en bon romancier, laisser certaines questions sans réponse trop claire. Suspense, questionnement social et religieux, dialogue avec l’Autre, voilà beaucoup de mérites.
Camille Bouchard, Le ricanement des hyènes, La courte échelle, Montréal, 2004, 154 p. ; 15,95 $.
Le Club des bizarroïdes se lance à l’assaut d’un nouveau mystère dans Marie Quatdoigts, La vie cachée d’Éva. Défi exigeant, car l’enquête porte sur des temps révolus tout en servant de test à un nouveau membre du Club. Roger Des Roches en profite pour étoffer davantage encore ses personnages familiers, Marie, Amélie et Robert, et pour nouer entre eux des relations plus tendres et plus généreuses. L’écriture adopte des rythmes différents, selon que les jeunes enquêteurs réfléchissent ou qu’ils préparent fébrilement le piège que mérite le matamore Pinotte ; à chaque fois, l’auteur trouve le ton juste.
Roger Des Roches, Marie Quatdoigts, La vie cachée d’Éva, Québec Amérique, Montréal, 2004, 248 p. ; 9,95 $.
Beau récit raffiné, Les enquêtes de Vipérine Maltais, Mortels Noëls de Sylvie Brien et Gianni De Conno résulte de plusieurs contributions : auteure née au Québec et notaire de formation, illustrateur né en Italie, éditeur français, mœurs très XIXe, présentation et typographie originales. En quelques pages, le décor est planté : le temps des fêtes tel que vécu en 1920 dans un pensionnat de la ville de Québec. Un drame, inattendu dans ce lieu feutré et conformiste, force les religieuses à faire appel à la jeune et perspicace Vipérine. Elle n’a que treize ans, mais sa parenté avec la supérieure du couvent lui donne accès à des informations névralgiques. Il lui reste à mériter les confidences. L’intrigue est bien construite, les références au contexte de l’époque nombreuses et pertinentes, l’écriture précise et ferme. Prenant.
Sylvie Brien et Gianni De Conno, Les enquêtes de Vipérine Maltais, Mortels Noëls, Gallimard, Paris, 2004, 128 p. ; 13,25 $.
Hors du réel
Puisque Harry Potter a démontré que les jeunes aiment les sagas étalées sur des tomes multiples, on doit considérer Les mondes d’Ewilan, La forêt des captifs de Pierre Bottero et Jean-Louis Thouard comme une entrée en matière. Tant mieux d’ailleurs, car les personnages sont complexes et attachants. Comme leur univers est peuplé d’êtres aux noms bizarres et aux pouvoirs imprévisibles, mieux vaut, en effet, les fréquenter longuement. Le contraste est d’ailleurs fascinant entre l’étrangeté des pouvoirs accordés aux deux camps et la calme campagne où se déroule une partie de l’action. On s’étonnera à peine si les forces occultes et maléfiques qui s’attaquent aux héros obéissent à des intérêts bien dissimulés et si une mystérieuse Institution leur sert de laboratoire. C’est vivant, manichéen, surchargé de noms imprononçables.
Pierre Bottero et Jean-Louis Thouard, Les mondes d’Ewilan, La forêt des captifs, Rageot-éditeur, Paris, 2004, 357 p. ; 24,95 $.
Serge Brussolo joue sur plusieurs tableaux dans Élodie et le maître des rêves, La princesse sans mémoire. Imaginer, comme il le fait, un empire commercial vendant à chacun les rêves qu’il désire, c’est déjà une assez belle trouvaille. Faire croire à la jeune Élodie que ses parents sont programmés pour entraver son développement et sa liberté, c’est d’un autre ordre. Inventer un monde, c’est une chose ; laisser entendre que les familles sont téléguidées par des cerveaux vicieux, c’est susciter le malentendu. Difficile de tracer une ligne de démarcation étanche. Serge Brussolo jouit et doit jouir de toute la liberté du créateur littéraire ; un auteur ne doit pourtant pas abolir cavalièrement la frontière entre les jeunes et leurs parents ni en faire une contrainte peut-être artificielle.
Serge Brussolo, Élodie et le maître des rêves, La princesse sans mémoire, Plon, Paris, 2004, 223 p. ; 18,95 $.
Nul ne devrait sous-estimer Clive Barker. Il navigue, en effet, aussi aisément dans le monde des valeurs que dans celui des créatures directement enfantées par les cauchemars. Dans Abarat, Jours de lumière, nuits de guerre, il ne parle pas de Mal, mais de nuit ; le Bien ne fait pas l’objet de longues louanges, mais la clarté réclame son dû et cela revient au même. Non seulement Clive Barker fait craindre le triomphe des ténèbres sur la lumière, mais il dessine et peint (120 illustrations souvent hallucinantes) avec une terrible efficacité les monstres qui menacent les partisans de la lumière. Grâce à la jeune Candy Quackenbush, il crée un couloir entre la réalité quotidienne où tout semble acquis et le monde d’Abarat où rien n’est joué. Le bouquin évite mieux que d’autres les sables mouvants des rebondissements sans logique ni fin.
Clive Barker, Abarat, Jours de lumière, nuits de guerre, trad. de l’américain par Hélène Collon, Albin Michel, Paris, 2004, 575 p. ; 39,95 $.
Retour au réel
Point n’est besoin de quitter la terre pour confronter les jeunes aux défis de la violence, de l’intolérance et du pardon. David Brodeur en fait éloquemment la démonstration dans Le labyrinthe de verre. La jalousie sévit partout, l’école, sans toujours le savoir, côtoie des mondes dangereux, la musique la plus authentique ou la plus sauvage peut entraîner dans son sillage les individus les plus sereins ou les marginaux explosifs. L’auteur abolit les cloisons et fait voir que le pire peut choir sur la tête des meilleurs. Il démontre ainsi que, oui, les précautions sont nécessaires, mais que, non, les problèmes ne sont pas une preuve de culpabilité. Vivant, puissant, inquiétant.
David Brodeur, Le labyrinthe de verre, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 176 p. ; 10,95 $.
Ceux qui croient que le lynchage est disparu de nos mœurs devraient lire À couteaux tirés de Norah McClintock. Il suffit, en effet, que revienne dans son village un jeune qui a subi huit ans d’emprisonnement pour que flambent haines, menaces, voies de faits. Avec rigueur, avec aussi un sens aigu de la gestion dramatique, Norah McClintock étale les préjugés, met en lumière les petits héroïsmes quotidiens, exhume les soubassements morbides du racisme. Le roman ne se gaspille pas en théories généreuses ; en revanche, il prouve avec une implacable logique que le racisme perdrait son emprise si surgissaient, au ras du sol, les gestes courageux. Le bouquin force toutes les générations à s’interroger.
Norah McClintock, À couteaux tirés, trad. de l’anglais par Claudine Vivier, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 320 p. ; 15,95 $.
Noreen, personnage central de Confessions d’une fille sans cœur de Martha Brooks, a tout pour attirer les antipathies. Si elle réfléchit, elle devient cruelle ; si elle s’abandonne à ses tumultueuses improvisations, elle lasse toutes les patiences. Jamais elle ne reconnaît ses torts, jamais elle n’a appris à vivre en société ou même en couple. Ce modèle, bien sûr, existe en de multiples exemplaires. Il faudra tout l’art de Martha Brooks pour que, sans tourner à la conversion larmoyante, un changement apaise en Noreen cette furie permanente. Le récit est dur, les affrontements violents, les exigences inconciliables, les rancunes tenaces. Autant dire que l’histoire colle à la réalité et que n’importe quel jeune révolté se reconnaîtra en Noreen. Crédible jusqu’à la fin.
Martha Brooks, Confessions d’une fille sans cœur, trad. de l’anglais par Dominick Parenteau-Lebeuf, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 320 p. ; 13,95 $.
Terminons sur le roman d’un auteur dont raffolent les jeunes : Fils du ciel de Kenneth Oppel. À un détail près la réussite est totale. Oppel maîtrise si bien l’art du récit qu’il nous embarque dans l’aérostat l’Aurore sans situer l’époque ou évoquer les défunts Zeppelin. L’atmosphère ? Celle des luxueux paquebots qui font cohabiter les riches et les équipages voués humblement à leur service. La différence, ce sera la fragilité de l’énorme dirigeable, sa dépendance à l’égard d’une enveloppe que tout peut déchirer. Quand surgiront les pirates attirés par la richesse de ces privilégiés, on distinguera rapidement les courageux. Le jeune Matt, qui fait ses classes à bord de l’aérostat qui a vu les derniers moments de son père, se révélera compétent et ingénieux, mais frustré par les clivages entre les classes sociales. Le personnage est séduisant. Quel détail cloche ? L’âge de Matt. On lui aurait donné un an ou deux de plus que sa crédibilité y aurait gagné.
Kenneth Oppel, Fils du ciel, trad. de l’anglais par Luc Rigoureau, Scholastic, Markham, 2004, 502 p. ; 18,99 $.
Les grands textes indépendantistes : Une mémoire indispensable
La collection « Typo » ne pouvait imaginer meilleure façon de marquer son vingtième anniversaire que de rééditer la sélection des « grands textes indépendantistes » établie en 1992 par Andrée Ferretti et Gaston Miron et de l’enrichir d’un deuxième tome rendant compte des années 1992 à 2003. La mémoire qui s’exprime ainsi rappelle, d’une part, le chemin parcouru au cours des deux siècles qui ont suivi la conquête et, d’autre part, les formes plus récentes de la fidélité indépendantiste.
Du plus loin . . .
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Lettres, souvenirs, portraits, journaux, mémoires
Dans le roman, les personnages tirent profit de la pleine liberté de leur créateur. Les cheminements qui racontent des vies vécues et qui placent les pas dans les pas qui précèdent ne jouissent pas, du moins pas théoriquement, de la même latitude.
Sont-ils moins révélateurs de l’inventivité humaine ? À voir.Mémoires délibérées
La voix de Raymond Martineau dans Mémoires d’enfance1 sonne infiniment juste. Les décennies défilent, drames et parfums d’hier s . . .
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Édouard Estaunié (1862-1942)
Les éditions Mémoire du Livre ont republié L’ascension de M. Baslèvre en 2000 et en 2001 Madame Clapain, romans d’Édouard Estaunié (1862-1942). La quatrième de couverture de la seconde œuvre précisait que cette maison allait « rééditer d’autres livres » du même auteur.
Or il n’en fut rien. Estaunié n’a donc pas bénéficié de la même « revie » littéraire qu’un Emmanuel Bove ou un Henri Calet. Serait-il un romancier définitivement . . .
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L’Iliade et l’Odyssée
Il y a une vingtaine d’années, me promenant à Athènes, à Delphes et à Héraklion, je me suis senti constamment à distance, écarté, comme renvoyé à un état de spectateur. Je reconnaissais les noms des lieux : références littéraires récurrentes. Les livres en sont remplis. Des dieux et des déesses, des rois et des reines souvent pris dans des affrontements, des conflits allant jusqu’aux meurtres. Tout au long des années, j’ai côtoyé à distance ces personnages mythiques ou historiques en ne franchissant jamais une cloison qui, sans parler d’intimité, rendait leur réalit . . .
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Philippe Besson : Éclairages complémentaires (entrevue)
Depuis qu’il a troqué la carrière de juriste pour celle de romancier, Philippe Besson est passé d’un livre à l’autre comme à travers des vases communicants, dans ce qu’il décrit lui-même comme un seul mouvement d’écriture.
Si le succès ne s’est pas fait attendre, l’homme ne s’est pas laissé distraire d’un patient affinage de son style, dans des récits qui exploitent tous la richesse d’une rencontre singulière et la nouvelle réalité qui en résulte. Qu’il s’agisse de . . .
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Neil Bissoondath : Tous ces mondes en lui (entrevue)
En 1973, à peine âgé de 18 ans, Neil Bissoondath faisait un choix déterminant : il émigrait au Canada. Après plusieurs années à Toronto, il s’est ensuite installé à Montréal, voilà une quinzaine d’années, puis à Québec où il enseigne maintenant la création littéraire à l’Université Laval.
Il n’a jamais mis les pieds en Inde, pays d’où sont partis ses arrière-grands-parents pour s’installer à Trinidad, et il n’est retourné qu’une seule fois dans cette île de la Caraïbe où il est né. Homme de migration . . .
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Catherine Cusset : La vie, et rien d’autre (entrevue)
L’écrivaine française Catherine Cusset vit à New York depuis quelques années. Ancienne élève de la prestigieuse École normale supérieure, docteure ès lettres, elle a enseigné à Yale pendant onze ans avant de se consacrer exclusivement à l’écriture.
Si son œuvre est controversée, ses livres connaissent néanmoins un succès commercial qui ne se dément pas. C’est lors de l’édition 2004 du Salon du livre de Québec dont elle était l’invitée qu’elle a porté pour Nuit blanche ce regard sur l’ensemble de . . .
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Éclipses, naissances, réalignements : Une littérature en ajustement ?
Peut-être la période de Noël prépare-t-elle des avalanches de bouquins destinés aux jeunes. Peut-être certaines maisons d’édition traversent-elles un stade de réévaluation ou de mutation. Toujours est-il que la plus récente cuvée de livres pour jeunes présente des caractéristiques déroutantes.
Fantaisie ? Présente !
Album joyeusement délirant, Zachary et son Zloukch de Dominique Demers et Fanny ne perd pas de temps à préciser la nature du petit compagnon. Il suffit qu’il aime Zachary, lui serve de confident et partage ses aventures. N’importe quel enfant verra en Zloukch le proche parent de sa grenouille, de son ourson ou de sa poupée aux patientes oreilles. Les adultes s’étonneront pourtant des ressemblances entre Zloukch, d’une part, et, d’autre part, le personnage classique du Marsupilami et la célèbre planète du Petit Prince. Mimétisme excessif.
Dominique Demers et Fanny, Zachary et son Zloukch, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
Comment je suis devenu pirate résulte d’un bel accord entre le conte loufoque de Melinda Long et les illustrations de David Shannon. Laissé à ses châteaux de sable, Jérémie Jacob se sent seul. Mais un navire s’amène battant pavillon à tête de mort. Le capitaine Barbe de Bouc cherche où enterrer son trésor. Jérémie reçoit mandat de guider l’expédition. L’apprenti pirate promène son lumineux sourire parmi les têtes patibulaires. Les pirates s’étonneront quand Jérémie, épuisé, demandera qu’on le borde et qu’on lui raconte une histoire pour préparer le sommeil. Jérémie quittera Barbe de Bouc à temps pour redevenir… joueur de soccer. Ensemble incohérent, délirant, souriant.
Melinda Long et David Shannon, Comment je suis devenu pirate, trad. de l’anglais par Hélène Rioux, Scholastic, Markham, 2004, 40 p. ; 8,99 $.
Créature d’Alain M. Bergeron et de Sampar, le gardien du zoo de Kalamazoo étale une candeur à faire rigoler tous les publics dans Par ici la sortie. Certes, le zoo tient à ses pensionnaires, mais, de page en page, une nouvelle astuce multiplie les évasions. Le gardien est-il détesté ? Pas du tout. Peut-être les animaux désirent-ils passer l’hiver plus près de lui. Humour raffiné, dessin aux allusions subtiles, complicité entre un illustrateur génial et un auteur généreusement inventif.
Alain M. Bergeron et Sampar, Par ici la sortie, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 32 p. ; 10,95 $.
Dans l’affrontement entre La mouche et l’araigné, l’enfant sympathisera tantôt avec la victime, tantôt avec le prédateur. Le poème de Mary Howitt, vieux de deux cents ans, contourne la difficulté en révélant chez la mouche vanité et imprudence. Dès lors, l’araignée, en plus d’obéir à son instinct, exploite la sottise de la mouche. La leçon semblera cruelle, d’autant que le dessin de Tony DiTerlizzi, noir et accablant, répand une atmosphère tragique. Véritable œuvre d’art qui ne cache rien de la chaîne alimentaire. L’anthropomorphisme est-il excessif ? Chose certaine, la mouche expie un comportement déconseillé aux petits humains.
Mary Howitt et Tony DiTerlizzi, L’araignée et la mouche, trad. de l’anglais par Hélène Pilotto, Scholastic, Markham, 2004, 32 p. ; 19,99 $.
Mythes et souvenirs
Publié il y a quinze ans, le récit intitulé La butte à Pétard de Diane Carmel Léger raconte le « grand dérangement ». Pas de révélations inattendues, mais une attention constante aux destins individuels, aux solidarités instinctives, au pari entêté sur l’espoir. Comme dans Évangéline, l’amour triomphe du temps et des préjugés. Les Acadiens savent déjà le rôle assumé par les Micmacs (Mi’kmaqs), mais les jeunes Québécois découvriront une nation autochtone à laquelle les arrivants européens durent beaucoup.
Diane Carmel Léger, La butte à Pétard, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2004, 121 p. ; 9,95 $.
Tihtiyas et Jean de Nathalie Gagnon, Donald Soctomah et Naomi Mitcham raconte en trois langues la rencontre entre Européens et Autochtones. Cette fois, ce sont la culture et la langue du peuple passamaquoddy qui se joignent au français et à l’anglais. Texte sobre, allusions nombreuses aux difficultés d’adaptation des arrivants. L’amitié naît entre une adolescente autochtone et un garçon d’outre-Atlantique. La jeune Passamaquoddy en profite pour rappeler la légende de l’oiseau « faiseur de vent ». Quand le jeune garçon retourne chez les siens, un échange de flûtes a lieu, symbole d’harmonie.
Nathalie Gagnon, Donald Soctomah et Naomi Mitcham, Tihtiyas et Jean, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2004, 36 p. ; 7,95 $.
Renseigné, curieux, respectueux de ses sources, Jacques Pasquet puise à pleines mains dans la tradition des peuples nordiques. Dans Grand Nord, Récits légendaires inuit, la ligne de démarcation entre bêtes et gens est poreuse, les réincarnations se multiplient, jamais ne se brise l’accord de l’Inuit avec son environnement. L’ours blanc, comme il se doit, occupe l’avant-scène. C’est face à lui que se construisent les réputations, avec sa toute-puissance qu’il faut négocier. Pasquet raconte avec goût et efficacité. Peut-être se dépense-t-il trop en préalables et en mises en garde.
Jacques Pasquet, Grand Nord, Récits légendaires inuit, Hurtubise HMH, Montréal, 2004, 117 p. ; 10,95 $.
La maison d’éditions de l’Isatis propose dès ses premiers titres des contes de diverses origines. Auteur prolifique et féru d’histoire, Daniel Mativat, avec la collaboration de Gérard Frischeteau, présente aussitôt l’étonnant personnage de Kado le fou. Ingénieuse victoire de l’intelligence et de la ruse sur la force et la beauté. On a tort de sous-estimer Kado, malgré sa bosse et sa laideur. Subtilement équivoque, flatteur habile, Kado désamorce tous les pièges. Mativat, toujours bon conteur, use du ton propre aux légendes longtemps portées par la parole : « Marchi-marchant, le petit cheval vert… » La lecture à haute voix mettra en évidence toutes ces qualités.
Daniel Mativat et Gérard Frischeteau, Kado le fou, conte breton, L’Isatis, Montréal, 2004, 88 p. ; 9,95 $.
De la Bretagne, passons à la Bulgarie avec Sur les ailes de la lune de Christine Bonenfant et Daniela Zékina. L’heure y est à la douceur, à la compassion, à la nostalgie. Vieillir est malaisé, surtout quand la pauvreté accentue les fragilités de l’âge. Pourtant, Milena et Milouch adopteront le petit canard orphelin. Celui-ci, nanti de pouvoirs magiques, leur adoucit la vie, à tel point que les vieillards le priveront de son plumage pour l’empêcher de s’éloigner. Malheur ! Le canard perd ses moyens. Milena et Milouch, peinés et confus, chercheront ardemment à réparer leur erreur. Le récit coule comme une eau pure. Les illustrations de Daniela Zékina, d’une précision sans faille, restituent leur charme aux gens, aux choses et aux décors.
Christine Bonenfant et Daniela Zékina, Sur les ailes de la lune, conte bulgare, L’Isatis, Montréal, 2004, 76 p. ; 9,95 $.
Délires en tous genres
C’est bien connu (?), une sorcière qui perd confiance en elle-même ne terrifie plus personne. Dans Frisella la fantôme, Frisella frappe un mur de Reynald Cantin et Paule Thibault, la règle se confirme. Le turbulent Manuel, qu’il fallait assagir, prend plaisir à l’apparition nocturne du fantôme. Frisella rate donc sa mission. Dépression, inquiétude… et recul des pouvoirs magiques. Le récit est mince et pourtant échevelé. Façon efficace, en tout cas, de débarrasser les enfants de la peur des fantômes.
Reynald Cantin et Paule Thibault, Frisella la fantôme, Frisella frappe un mur, FouLire, Charlesbourg, 2004, 83 p. ; 8,95 $.
Noémie, pour la quatorzième fois, succombe à son enthousiasme dans Le voleur de grand-mère de Gilles Tibo et Louise-Andrée Laliberté. Tout commence calmement : puisque ses parents passent la soirée à l’extérieur, Noémie file chez sa grand-mère. Puis tout se brouille : la grand-mère est absente, la porte ouverte, les fleurs du jardin arrachées, l’électricité fait défaut, des bruits s’élèvent du garde-manger… Noémie alerte la planète. Les jeunes lecteurs auront pourtant peu redouté le danger. Longuet, répétitif, dilué, le récit ne maintient pas l’intérêt.
Gilles Tibo et Louise-Andrée Laliberté, Noémie, Le voleur de grand-mère, Québec Amérique, Montréal, 2004, 152 p. ; 8,95 $.
Surveiller Isabelle pendant cent quatre-vingts minutes ? Facile, disent Dominic et ses deux copains dans Un gardien averti en vaut 31 d’Alain M. Bergeron et de Sampar. À plusieurs, la surveillance n’est même plus un défi ! À peine les parents sont-ils partis qu’Isabelle déploie sa vitalité, à tel point que le trio hésite, quand la fillette disparaît, entre s’inquiéter et se reposer. Il faudra pourtant, tout à l’heure, rendre compte du mandat. Pas facile pour les gaillards d’avouer les ratés de leur surveillance. Vivant et moqueur.
Dans la douzième aventure de Klonk, Klonk contre Klonk2, l’action démarre dès la première page. Fred s’apprête à une partie de scrabble avec Agathe quand Klonk téléphone. Fred et Agathe peuvent-ils retenir leur souffle pendant trente secondes ? Réponse affirmative qui leur vaut une mission à l’autre bout du monde. Le rythme se maintiendra. Klonk, insurpassable génie, aura comme adversaire rien de moins que son propre clone. François Gravel et Pierre Pratt sauront-ils, d’une pirouette inattendue, maintenir à flots leur inimitable personnage ? Parions-le.
1. Alain M. Bergeron et Sampar, Un gardien averti en vaut 3, Soulières, Saint-Lambert, 2004, 88 p. ; 7,95 $.
2. François Gravel et Pierre Pratt, Klonk contre Klonk, Québec Amérique, Montréal, 2004, 131 p. ; 8,95 $.
Rares sont les livres qu’on lit pour leur choix de caractères. C’est le cas avec Gare au yeti ! de Geronimo Stilton et Larry Keys. Un peu comme San Antonio fascinait par le délire verbal, Geronimo Stilton émerveille par l’exubérance de la typographie. Les lignes montent ou descendent selon le moral du conteur, les épithètes sont roses ou brunes selon l’animal, le MAMMOUTH requiert des lettres plus grosses que la souris… On lit, on s’amuse, on gambade au gré de la typographie. Quant au yeti, on oublie presque qu’il devait être au centre de ce livre. Ingénieux, rafraîchissant, très peu rigoureux.
Geronimo Stilton et Larry Keys, Gare au yeti !, Albin Michel, Paris, 2004, 126 p. ; 9,95 $.
Leçons sans lourdeur
L’enfance est un lieu où s’affrontent la spontanéité et l’apprentissage. L’enfant ose, le plaisir surgit ou la déception, puis vient la conclusion. C’est donc une leçon précieuse que donne Alain Raimbault à sa fille quand il l’éloigne de la télévision pour lui suggérer de s’émerveiller. Et la jeune fille de découvrir la navigation, les chevaux, les perroquets, les amis et le grand air dans Un jour merveilleux. Alain Raimbault et l’illustratrice Caroline Merola n’interdisent rien, mais ils rendent la découverte alléchante.
Alain Raimbault et Caroline Merola, Un jour merveilleux, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 56 p. ; 7,95 $.
La vache de Maurice, la belle Angélique, serait presque parfaite sans sa propension au mensonge dans La vache qui lit de Caroline Merola. Pour impressionner les animaux de la ferme, elle se concentre sur un livre dont elle ne décode rien. De là à mépriser l’entourage et à juger que le jeune Rocco, taureau de son état, est indigne d’elle, il n’y a qu’un pas. Angélique sera pourtant rattrapée par ses mensonges. L’histoire est bien menée, peuplée de personnages plausibles, finement efficace.
Caroline Merola, La vache qui lit, Soulières, Saint-Lambert, 2004, 61 p. ; 7,95 $.
Gagner à tout prix ou préférer l’amitié à la victoire ? Tel est le dilemme d’un garçon dans Simon, l’as du ballon d’Andrée-Anne Gratton et de Leanne Franson. Il excelle au soccer et tient au trophée qui couronnera le tournoi, mais doit-il écarter du jeu ceux qui jouent moins bien ? Doit-il s’associer à tel copain qui est un bon athlète et une petite brute ? À distance, les adultes observent Simon. C’est à lui de choisir les ajustements. Excellent regard sur une jeune ambition. Pédagogie exemplaire.
Andrée-Anne Gratton et Leanne Franson, Simon, l’as du ballon, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 80 p. ; 7,95 $.
Jérémie fait face à un choix déchirant dans Le grand amour de Jérémie d’Yvan DeMuy et de Lyne Meloche. Il adore sa chatte Goglu, mais Caroline, la nouvelle amoureuse de son père, est allergique à tout ce qui miaule. Le cœur gros, Jérémie confie Goglu à Josée, l’amie de sa mère disparue. Caroline est émue du sacrifice que consent Jérémie et toute la nouvelle famille s’en trouve transformée. Simple, prenant, généreux.
Yvan DeMuy et Lyne Meloche, Le grand amour de Jérémie, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 63 p. ; 7,95 $.
Les enfants ne sont pas réputés pour leur patience. Il leur faut apprivoiser le temps, compter et recompter les « dodos » pour calmer la fébrilité. Le carrousel, Un poème sur l’enfance de Hazel Hutchins et Kady MacDonald Denton vient à la rescousse des parents en expliquant le temps. La seconde dure un clin d’œil, laminute peut loger deux ou trois couplets, l’heure autorise les projets comme la construction d’un ambitieux château de sable… Quant aux termes de semaine, demois ou d‘année, ils requièrent naturellement un plus grand nombre de pages. Dessin évocateur, termes précis, apprentissage rendu agréable et abordable. Quant à la patience ainsi enseignée aux jeunes, les paris sont ouverts. Dix ou quinze « dodos », c’est quand même long !
Hazel Hutchins et Kady MacDonald Denton, Le carrousel, Un poème sur l’enfance, trad. de l’anglais par Marie-Andrée Clermont, Scholastic, Markham, 2004, 30 p. ; 8,99 $.
Place à l’envol
La poésie, que les muses en soient remerciées, prend place dans la littérature destinée aux jeunes. Il n’est pas dit, toutefois, que le matériel proposé aux jeunes soit toujours adapté. La poésie de Guillevic, par exemple, promet fantaisie et beauté, mais l’enfant laissé à lui-même reculera peut-être devant l’effort. Certes, le conte offert à la fin de Pas si bête ! jette un éclairage précieux, mais l’adulte devra intervenir pour que les poèmes, comme celui-ci sur le geai, deviennent abordables : « Tu criais au-dessus d’un gouffre / Où tous les bois s’engloutissaient. / Il n’y a pas que toi qui souffres, / Mais tant crier, c’est de l’excès ».
Guillevic, Pas si bêtes !, Seghers, Paris, 2004, 63 p. ; 10,95 $.
Poète lui aussi, Jacques Roubaud dédie à chaque animal un sonnet plutôt moqueur dans Les animaux de tout le monde. Il expliquera d’ailleurs, avec finesse et clarté, ce qu’est un sonnet ; la leçon est si séduisante que bien des jeunes stylos voudront relever le défi. « Le crocodile n’a qu’une idée / Il voudrait dévorer Odile / qui habite près de son domicile / elle est tendre et dodue à souhait. » Heureusement pour sa survie, la fille est prudente et ne s’approche pas de l’eau : «… et c’est seulement dans ses rêves / que le crocodile croque Odile ». L’enfant rira du calembour et l’adulte songera à apparenter le crocodile et le séducteur.
Jacques Roubaud, Les animaux de tout le monde, Seghers, Paris, 2004, 96 p. ; 10,95 $.
Passons à la peinture. Marie Barguirdjian Bletton offre aux jeunes une autre de ses « petites histoires de l’art ». Après Paul-Émile Borduas, Kandinsky et Dans le gris. La méthode demeure la même, ingénieuse et discutable. Autant il est légitime d’interpréter librement une toile abstraite, autant il est hasardeux d’ériger le filtre personnel en lecture objective. Certes, Les 400 coups présentent la lecture de Marie Barguirdjian Bletton comme une vision personnelle ; cela ne fait pourtant pas disparaître tous les risques. Ne vaudrait-il pas mieux apprendre aux jeunes à se laisser imprégner par les abstractions ?
Marie Barguirdjian Bletton, Dans le gris, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 19,95 $.
Collectifs novices et professionnels
Écrire n’est pas un plaisir réservé aux ermites. Les collectifs en témoignent. Ils proviennent autant des tout jeunes que des écrivains rompus à l’écriture. Le Père Noël est allergique, par exemple, résulte d’un travail d’équipe dont on admirera la spontanéité et l’intelligence pédagogique. Les élèves de 2e année de l’école internationale Saint-Sacrement ont été conviés à affronter un à un les défis de la création. La fraîcheur du texte et des illustrations prouve éloquemment que le cadre n’a en rien brimé la liberté d’expression. Expérience qui servira sûrement de repère.
Les élèves de 2e année de l’école internationale Saint-Sacrement, Le Père Noël est allergique, Va bene, Québec, 2004, 20 p. ; 8,95 $.
Sous la gouverne éclairée de Michel Lavoie, un collectif s’exprime, formé d’auteurs plus aguerris. Le thème ? Les Mensonges ! Ceux qui contaminent les collectivités autant que les personnes. Comme dans tout collectif, le bon côtoie le magnifique, le banal s’insinue à côté du pénétrant. La moyenne, pourtant, impressionne. On admirera, par exemple, qu’un jeune auteur sache que l’armée de Staline a menti aux Polonais et assisté placidement depuis l’autre rive de la Vistule à l’embrasement du ghetto de Varsovie.
Sous la dir. de Michel Lavoie, Mensonges !, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 148 p. ; 9,95 $.
L’informatique titille l’imaginaire de ce temps. Les écrivains québécois pour la jeunesse en sont si conscients que leur collectif, rédigé sous la direction de Marie-Andrée Clermont, s’intitule Virtuellement vôtre et que plusieurs de leurs nouvelles signalent les risques du clavardage. L’ordinateur demande grâce, les extra-terrestres se faufilent dans les tracas humains, un vilain virus se plaint de la lutte lancée contre lui, les acteurs virtuels répondent à l’invitation trompeuse qui leur promet vedettariat et richesse, etc. La qualité moyenne des nouvelles est élevée. Il est fascinant que conteurs (et conteuses) traitent du virtuel comme s’il avait en peu d’années marqué leur façon de voir et d’écrire.
Sous la dir. de Marie-Andrée Clermont, Virtuellement vôtre, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 213 p. ; 10,95 $.
Drames intérieurs
La popularité du virtuel n’éteint pas les battements du cœur humain. Dans Un cœur en exil, l’excellente Josée Pelletier revient à son attachante Joëlle. La jeune fille, on le sait, a résisté à son père et quitté milieu et famille par amour pour Colin. Quand celui-ci réclame une période de recul, Joëlle subit une solitude cruelle. Elle, dont la mère n’a rien fait pour amadouer le père, doit apprivoiser le mutisme, bien physique celui-là, de la vieille Corinne chez qui Colin l’a logée. Récit chaleureux, émouvant, intelligent auquel Josée Pelletier donnera assurément une suite.
Josée Pelletier, Un cœur en exil, Vents d’Ouest, Gatineau, 2004, 179 p. ; 10,95 $.
Autre récit de Josée Pelletier, Peau d’Anne fait pénétrer dans un univers étouffant. Enceinte malgré elle dès ses treize ans, Anne choisit d’élever son enfant. Ses parents, secoués puis secourables, lui allègent la vie, mais tout n’est pas réglé pour autant. Anne a beau changer d’école et de milieu, les indiscrétions sont inévitables. L’ami Pierre apprendra-t-il que le petit Christophe n’est pas le frère mais le fils de la jeune fille ? L’analyse des sentiments, la surenchère des générosités, la méchanceté fière de son fiel, tout cela agit avec force. Écrire à ce rythme et avec autant de justesse vaut à Josée Pelletier une grande admiration.
Josée Pelletier, Peau d’Anne, Soulières, Saint-Lambert, 2004, 164 p. ; 9,95 $.
Le voyage de Robert Blake, farci de bon vouloir, ne convaincra que qui veut l’être. Un gourou bas de gamme distribue ses paraboles. Il ignore qu’une enfant n’apprend pas en quelques heures les secrets de l’existence. L’ensemble sonne comme un sermon candide et prétentieux. Heureux encore que Blake sache s’arrêter à un doigt de la pire « croissance personnelle » et que son Monsieur Jacquot se satisfasse de notions mal circonscrites. Probablement inoffensif.
Robert Blake, Le voyage, 9e jour, Saint-Laurent, 2004, 135 p. ; 14,95 $.
Dans l’univers des grands
Peut-être parce que les sociétés accouchent de cultures différentes, deux titres de Gallimard attirent l’attention : Soldat Peaceful1 de Michael Morpurgo et Une idée fixe de Melvin Burgess, tous deux traduits de l’anglais.
Michael Morpurgo est un magnifique conteur. Il rend tangibles, depuis l’Angleterre profonde, l’attachement de deux frères avec l’attendrissante Molly, la pression militariste exercée sur les adolescents anglais entre 1914 et 1918, la persistance d’une féodalité anachronique et brutale, le machisme de seigneurs imbus d’eux-mêmes et d’officiers sadiques. Le récit roule, implacable et émouvant. Une malédiction menace les sentiments les plus naturels et l’on renonce presque à la vie simple et tranquille. La surprise, c’est de voir surgir en pleine « littérature jeunesse » un texte aussi puissant.
La surprise est autre avec Une idée fixe2 de Melvin Burgess. L’idée fixe, c’est le sexe. Dino, Ben et Jon ne rêvent que de cela. Conversations, calculs, défis, secrets, tout part de la frénésie sexuelle et y revient. Banal ? Peut-être dans la vie concrète, mais pas dans la littérature offerte aux jeunes d’ici. Dans Une idée fixe, les choses sont dites, crûment, salement, hideusement, comme si des adolescents devaient d’abord déprécier le sexe avant de l’affronter. Burgess, peut-être pour prouver qu’il dira tout le plus brutalement possible, entame son récit avec un jeu du plus parfait mauvais goût. À chacun de dire à haute voix avec qui il s’accouplerait : la clocharde ou la laide, etc. La suite sera plus sereine : les premières pages franchies, les trois garçons renoncent au bluff et affrontent le sexe imprévisible. Début répugnant. Burgess voulait peut-être montrer le fossé qui sépare le jeune prétentieux en rut de l’humain raboté par l’amour et rejoint par les responsabilités. Si telle était la démarche, elle est réussie. Ce qui déroute le plus, c’est la verdeur du propos dans un livre adressé aux jeunes.
1. Michael Morpurgo, Soldat Peaceful, trad. de l’anglais par Diane Ménard, Gallimard, Paris, 2004, 190 p. ; 25,50 $.
2. Melvin Burgess, Une idée fixe, trad. de l’anglais par Laetitia Devaux, Gallimard, Paris, 2004, 302 p. ; 21,95 $.
Une autre Russie : Saint-Pétersbourg
Si le site de Troie a été occupé par une succession de villes désireuses de profiter, chacune en son temps, du même lieu stratégique, Saint-Pétersbourg peut aussi se targuer d’avoir porté plus d’un nom et connu plusieurs destins.
La ville doit cependant si peu d’avantages à son emplacement que son fondateur, Pierre le Grand, a été souvent accusé de l’avoir créée dans un accès de mégalomanie et à l’encontre de tout bon sens. Que Saint-Pétersbourg ait quand même rivalisé avec Moscou et . . .
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La Russie de Vladimir Fédorovski (entrevue)
Observateur privilégié de l’histoire russe puisqu’il a participé pendant une vingtaine d’années à l’activité diplomatique de son pays, Vladimir Fédorovski écrit et parle selon les habitudes de cette profession, c’est-à-dire en adepte de la prudence et de la confidence mesurée.
Il en dit passablement, mais en tait davantage. Il accumule les anecdotes parfois piquantes, mais il équilibre savamment blâmes et louanges. Il porte sur l’histoire, les personnalités et les institutions de son pays un regard plus « grand angle » que ne le font Joseph Brodsky ou Solomon . . .
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Beaucoup de fantaisie et de possible : Enfant bien traité, adolescent comblé
Ainsi le veut cette cuvée : le tout-petit reçoit son dû, sous la forme agréable de la fantaisie joyeuse et du délire inoffensif, tandis que l’adolescent a droit à un bon choix de récits plausibles et de voyages stimulants. Parmi eux, quelques titres.
L’âge des premières caresses
Il n’est pas facile de savoir si un enfant aime son nouveau petit frère. L’aveu est encore plus improbable quand le nouveau membre de la famille encombre autant que Gugus. Car Gugus s’égosille au premier rayon de soleil, mange mal, teste généreusement ses jeunes crocs, renverse tout et répand un douteux parfum. Mais l’amour reprend le dessus et le garçon, traité d’abord en drôle d’animal, baigne dans les caresses. Dans Mon Gugus à moi1, le dessin de Nicole Claveloux illumine superbement l’ambivalence du texte de Francine Caron P. Il attendrit les impatiences, rend acceptable ce qui justifiait la colère, soude les parentés entre les deux enfants.
Le héros d’Où te caches-tu Cachou2 de Richard Edwards et Susan Winter, bien qu’ourson, ressemble à l’enfant. Il apprécie la sécurité, mais tient à son autonomie. Équilibre délicat entre la sécurité et le dépaysement. Cachou explore les mondes lointains, mais exige les présences rassurantes. Il joue tendrement avec sa mère, puis il s’éloigne, question de vérifier si la sécurité est toujours à portée de voix. Vérification faite, Cachou va plus loin, jusqu’au moment où on ne l’entend plus. Leçon sans lourdeur. Dessin qui recherche constamment l’équilibre.
1. Francine Caron P. et Nicole Claveloux, Mon Gugus à moi, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
2. Richard Edwards et Susan Winter, Où te caches-tu, Cachou ?, trad. de l’anglais par Hélène Pilotto, Scholastic, Markham, 2004, 32 p. ; 9,99 $.
Stella, personnage qu’adorent les petits, s’intéresse cette fois à la nuit dans Stella, princesse de la nuit1 de Marie-Louise Gay. Il y eut précédemment la mer, les neiges, les forêts… Sacha, fidèle faire-valoir, talonne Stella sans jamais la dérouter. Il faut dire que Stella a l’explication ingénieuse. Le soleil, explique-t-elle, porte parfois un pyjama rouge, il couche sur un gros nuage moelleux, dort plus tard les jours de pluie… Stella mêle le vrai et l’improbable, mais elle demeure rassurante et sereine. De fait, pourquoi les enfants craindraient-ils la nuit, ses lucioles, sa voie lactée, son défilé de ratons laveurs ? Quand la nuit se prolonge, la pensée se tourne vers la grand-mère qu’on ira voir demain. Très fin.
Le secret de Luciole2 n’est pas de ceux qu’on apprend facilement. Selon l’enfant, la fleur devrait dresser la tête dès l’instant où la graine a été mise en terre. Anna, heureusement, en sait plus long. Le personnage de Mireille Levert explique que la pluie est nécessaire et elle danse pour l’inviter. Elle raconte le dialogue entre les insectes et les fleurs et enseigne les chansons qui poussent les fleurs vers la surface du sol. Le secret ? La patience. Le dessin, généreux et coloré, éclate en rondeurs et en candeurs. Et les animaux, les chats surtout, sortent du bestiaire du Douanier Rousseau.
1. Marie-Louise Gay, Stella, princesse de la nuit, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
2. Mireille Levert, Le secret de Luciole, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
Le texte d’Émilie pleine de jouets1 est si bellement succinct que le dessin a tout loisir de séduire. Riche d’un don qui multiplie dans ses mains les jouets les plus divers, Émilie pouvait se satisfaire de ce talent. Le sort voulut qu’Émilie ait un jour à consentir un immense sacrifice : pour tirer son père du naufrage, elle dut épuiser son don. C’est d’amour qu’Émilie déborda désormais. Gilles Tibo, discret, laisse le dessin de Marie Lafrance conduire à cette découverte.
Autre heureux mariage de l’écriture et de l’illustration, L’oiseau des sables2 ose limiter les pouvoirs magiques et parier sur les qualités humaines. Au début de l’existence, les raccourcis sont possibles et les miraculeuses colombes de pierre récupèrent les billes disparues. Peu à peu, cependant, c’est sur soi, sur ses décisions, que l’on s’appuie. Le risque s’en trouve décuplé, mais aussi la joie et la fierté. Dessin somptueux, même si les silhouettes de Stéphane Poulin accentuent le côté trapu des personnages. Texte efficace de Dominique Demers.
1. Gilles Tibo et Marie Lafrance, Émilie pleine de jouets, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2003, 36 p. ; 19,95 $.
2. Dominique Demers et Stéphane Poulin, L’oiseau des sables, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2003, 32 p. ; 19,95 $.
Science et langue
L’intérêt pour la science de la littérature consacrée aux jeunes ne se dément pas. Tout n’y est pas de premier ordre. Ainsi, Nos mammifères marins1 de René Trépanier, Josée Forest et Jocelyne Bouchard, pourtant produit par une maison connue pour sa maîtrise du secteur, se situe en deçà des critères usuels de cet éditeur. Les illustrations en particulier relèvent d’un amateurisme décevant.
De la « planète bleue », que savons-nous ? Bien peu de choses à en juger par l’Atlas des océans2 de Marie-Anne Legault et ses collaborateurs. Dès les premières pages, les révélations se multiplient. Les océans, le Pacifique en particulier, arborent des noms trompeurs ; les chaînes de montagnes immergées réduisent leurs homologues terrestres au statut de modestes échines… L’ensemble maintient un bon équilibre entre les curiosités et les explications qui dégagent les lignes de force et les synthèses. Les jeunes trouveront là une information vivante, abordable, séduisante.
Malgré l’appui que semble lui accorder Hubert Reeves, Mon album de l’Univers3 n’emporte pas l’adhésion. Certes, l’information est fiable et abondante, mais la mise en page et les choix de caractères dispersent l’attention. L’œil ne sait pas quel chemin suivre, quel élément assimiler en premier, quelle hiérarchie établir entre les diverses polices de caractère. On se demande également pourquoi le professeur Génius protège autant son anonymat et pourquoi le commentaire d’Hubert Reeves se limite aux premières pages du texte. Étrange.
1. René Trépanier, Josée Forest et Jocelyne Bouchard, Nos mammifères marins, Michel Quintin, Waterloo, 2004, 64 p. ; 7,95 $.
2. Sous la dir. de Marie-Anne Legault, Atlas des océans, Québec Amérique, Montréal, 2004, 96 p. ; 21,95 $.
3. Professeur Génius, Mon album de l’Univers, Québec Amérique, Montréal, 2003, 64 p. ; 18,95 $.
Le souci pédagogique est patent dans Mon premier livre des animaux d’Isabelle Allard. Fort louable. L’appel lancé aux adultes tombe d’autant mieux que les photographies et les questions séduisent assez peu. Les animaux sont figés, statiques, détachés de leur environnement. Les questions portent souvent sur le nombre de spécimens, ce qui importe assez peu, alors qu’on néglige les caractéristiques des espèces. Le raton laveur, par exemple, porte ce nom pour un motif qui aurait fasciné l’enfant, tandis qu’« un raton laveur qui grimpe » ne lui apprendra pas grand chose. « Un gnou qui marche » renseigne aussi peu. Belle préoccupation, mais résultats sans relief.
Isabelle Allard et Christiane Gunzi, Mon premier livre des animaux, L’outil idéal pour découvrir le monde des animaux, Scholastic, Markham, 2004, 32 p. ; 19,99 $.
Combien d’enfants sont déroutés par les expressions qu’utilisent les adultes ? « Prendre la mouche », est-ce tuer une bestiole agaçante ? Traiter quelqu’un de « grenouille de bénitier », est-ce installer un marécage à l’entrée de l’église ? J’ai un mot sur la langue1 de Florence Gremaud, Serge Pinchon et Hervé Coffinières jette une passerelle entre ces images et les réalités qu’elles évoquent. Le texte laconique qui fournit le sens de l’image est, dans l’ensemble, précis, factuel, accessible. L’explication qui s’y greffe possède rarement ces qualités. Prix inadmissible (32,95 $).
Dans Léon et les expressions2 d’Annie Groovie, l’enfant éprouve aussi des difficultés avec des locutions pourtant courantes. « Vider son sac » ou « tourner autour du pot », voilà qui le mystifie. La clarification s’effectue par le dessin humoristique et par la paraphrase. Malgré l’originalité du dessin et un bel effort pour donner aux expressions des équivalents limpides, l’objectif n’est pas toujours atteint. À propos de « s’arracher les cheveux », par exemple, on amorce un cercle vicieux : « Si un jour tu ne trouves pas de solution à un problème…, tu pourrais avoir envie de t’arracher les cheveux ». La puce à l’oreille ou Le bouquet des expressions imagées de Claude Duneton auraient pu guider.
1. Florence Gremaud, Serge Pinchon et Hervé Coffinières, J’ai un mot sur la langue, Gallimard, Paris, 2003, 127 p. ; 32,95 $.
2. Annie Groovie, Léon et les expressions, La courte échelle, Montréal, 2004, 64 p. ; 19,95 $.
Les sagas
Au début, La Princetta et le Capitaine d’Anne-Laure Bondoux ne promet que superficialité. On a trop lu de ces contes où une princesse refuse d’être mariée avec un « vieillard de trente-trois ans ». Très vite, cependant, le récit acquiert sa pleine densité. Le voyage qui emporte une demi-douzaine d’humains aux ambitions éclatées contestera les cartes géographiques connues, mais il insistera surtout sur le face-à-face entre chaque personnage et son rêve. L’exploration n’est plus celle des mers inconnues, mais celle des consciences et des éthiques. Belle démarche qui débute dans la simplicité et hisse ensuite le lecteur à un haut niveau.
Anne-Laure Bondoux, La Princetta et le Capitaine, Hachette, Paris, 2004, 527 p. ; 24,95 $.
Storine, surnommée l’orpheline des étoiles, n’aura jamais la vie facile. L’héroïne de Fredrick D’Anterny bénéficie de l’affection inconditionnelle d’un lion blanc, mais ses adversaires jouissent eux aussi d’avantages considérables. Le maître des frayeurs déchaînera contre Storine toutes les attaques que peut concocter un cerveau retors et ambitieux. L’action surabonde, mais elle constitue une fuite en avant plutôt qu’un affrontement stylisé. Inventer des mots, imaginer un « translucidateur » ou un « sabre psychique », créer une troisième lune ici ou là, cela, malgré tout, requiert peu de véritable créativité. On souhaiterait que la suite se dissocie de la tendance colorée et irrationnelle du Nintendo.
Fredrick D’Anterny, Storine l’orpheline des étoiles, T. 3, Le maître des frayeurs, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 407 p. ; 14,95 $.
En appendice aux plus récentes aventures de Peggy Sue et les fantômes, La bête des souterrains, Serge Brussolo offre les premières pages de sa nouvelle série Élodie et le maître des rêves. Tout en réservant le jugement sur cette éventuelle saga, réjouissons-nous de voir Peggy Sue partir à la retraite. L’affrontement entre Peggy Sue et une bête aux dimensions cosmiques témoignait, en effet, d’un essoufflement désolant de l’imagination et de sérieux dérapages dans le bon goût. À la rigueur, on aurait admis que les tentacules de la pieuvre monstrueuse demeurent vivants à la manière de ceux qu’Hercule devait trancher, mais pas que le cannibalisme se pratique sur des vivants.
Serge Brussolo, Peggy Sue et les fantômes, La bête des souterrains, Plon, Paris, 2004, 366 p. ; 14,95 $.
Après le succès largement mérité de la série Amos Daragon de Bryan Perro, il fallait s’attendre à ce que d’autres auteurs relèvent le défi. C’est fait et de la bonne façon. Mario Francis aime comme son devancier les aventures déployées en plusieurs volets, mais il joue autrement des pouvoirs divins ou magiques et conçoit différemment les défis à relever. Francis situe le héros de Leonis dans l’Égypte des pharaons. Il le fait naître dans une famille de lettrés, mais le prive ensuite de ses parents et l’enferme dans le statut d’esclave. C’est du fond de cet abîme que Leonis surgira. Est-il celui qu’annonçaient les prophéties et qu’espère le chancelant royaume égyptien ? On le saura quand – et si – Leonis survit aux épreuves. S’agit-il d’un long voyage ? Chose certaine, rien n’est encore joué au terme du troisième tome. La petite sœur de Leonis est toujours entre les mains de ses ennemis… À suivre.
Mario Francis, Leonis, Les Intouchables, Montréal, 2004: T. 1, Le talisman des pharaons, 254 p. ; 8,95 $ ; T. 2, La table aux douze joyaux, 254 p. ; 8,95 $ ; T. 3, Le marais des démons, 254 p. ; 8,95 $.
Inépuisable humour
Alfred est un dindon, mais d’une espèce inédite. C’est à lui qu’il faut songer lorsque les mystères se multiplient. Une absence dans la basse-cour, à la rigueur, cela peut incriminer Alfred. Mais un bouquet de fleurs à la porte de la jolie voisine et le départ inopiné d’un pédaleau, voilà qui ne devrait pas diriger l’enquête vers un dindon. Mais Alfred, c’est Alfred. L’évasion d’Alfred le dindon1 d’Annie Langlois et de Jimmy Beaulieu est une histoire fantaisiste sans prétention, comme les meilleurs contes.
Les parents partis, c’est le règne de Fabienne, gardienne prompte à changer en jeux les tâches les moins inspirantes. Le safari peut commencer. Ou Fabienne mène la danse ou elle sourit au joyeux débordement. Le salon se transforme en jungle, tout devient cachette, le bain prélude à une dernière collation, le sommeil se prépare par un ultime récit. Safari d’un soir2 de Michèle Thibodeau et Caroline Merola est un bel hommage à toutes celles qui assurent une soirée de détente aux parents et une expédition aux enfants.
1. Annie Langlois et Jimmy Beaulieu, L’évasion d’Alfred le dindon, La courte échelle, Montréal, 2004, 64 p. ; 8,95 $.
2. Michèle Thibodeau et Caroline Merola, Safari d’un soir, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
La présence d’une souris dans la maison ne réjouit pas nécessairement tout le monde. Mais quel est le point de vue de la souris ?, s’interrogent les auteurs de Quelle étrange bête chez moi !, Johanne Gagné et Josée Masse. N’a-t-elle pas droit, elle aussi, à sa tranquillité ? Pourquoi la petite bête ne ressentirait-elle pas des frayeurs plus vives que la grosse bête qui claque les portes, déclenche l’avalanche des cubes de couleur, s’endort grâce à des récits bizarres ou effrayants et se relève pour un dernier pipi ? Julie, petite souris, songe à déménager, mais s’éloigner de la grosse bête la priverait des histoires dont elle bénéficie discrètement. Dessin intelligent qui souligne les disproportions entre la petite et la grosse bête.
Johanne Gagné et Josée Masse, Quelle étrange bête chez moi !, Les 400 coups, Montréal, 2004, 32 p. ; 9,95 $.
Les blagues de Toto, L’école des vannes de Thierry Coppée procure le plaisir des meilleurs albums de gags. D’Achille Talon à Nathalie, combien de fois ces histoires logées en une seule page ont-elles déclenché le rire ou le sourire ? Si l’une laisse un peu froid, la suivante surgit au bout des doigts et réaffirme le droit à la bonne humeur. Toto a ceci de magnifique qu’il laisse les adultes le soin de se ridiculiser, qu’il gaffe avec conviction, qu’il obéit à une logique imprévisible, que le fil blanc de ses fourberies dépasse toujours de plusieurs mètres. La moyenne est excellente.
Thierry Coppée, Les blagues de Toto, L’école des vannes, Delcourt, Paris, 2004, 32 p. ; 14,95 $.
Millions est un récit brillant et drôle. À première vue, Damian et Anthony sont des enfants comme la vie les multiplie. L’histoire prend son envol quand un train échappe près d’eux un sac rempli jusqu’à la gueule de livres sterling. Plus de 200 000 livres sterling ! Petit détail : ces livres filaient vers l’incinérateur, car l’euro devient dans dix-sept jours la seule monnaie utilisable. Avec humour, Franck Cottrell Boyce laisse l’argent faire son travail. Il suscite les convoitises, stimule l’inventivité, peut provoquer les catastrophes. Et que devient la morale ?
Frank Cottrell Boyce, Millions, trad. de l’anglais par Pascale Houssin, Gallimard, Paris, 2004, 225 p. ; 20,95 $.
Tout près de la vie
Les sculpteurs de rêves1 de Joan Clark ressuscite le destin que vécurent bien des jeunes à l’époque où clans et tribus s’entretuaient, mais savaient quand même assimiler leurs prisonniers. Un jeune Groenlandais, enlevé par un groupe autochtone, est peu à peu transformé en fils du clan. Adaptation difficile, car les mSurs diffèrent et l’insertion d’un jeune mâle au sein du groupe indispose ses semblables. Récit étoffé, respectueux des différences, lourd d’observations éclairantes.
Quand Enrique cesse d’expédier ses courriels, son cousin Francis s’inquiète. Une visite à son appartement à Mexico conduit Francis à se rendre à Toulouse. Il retrace Enrique, mais il cherche encore la clé du mystère. Dans Le silence d’Enrique2 d’Annie Vintze, le hasard écorche un peu trop la vraisemblance du récit, la bonne hypothèse s’impose avant que le livre ne la dévoile, l’amour se présente aux deux cousins sous une forme trop classique pour convaincre… Récit vivant, mais aux ressorts usés.
1. Joan Clark, Les sculpteurs de rêves, trad. de l’anglais par Catherine Germain, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 272 p. ; 12,95 $.
2. Annie Vintze, Le silence d’Enrique, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 240 p. ; 11,95 $.
La tragédie qu’évoque Gilles Devindilis dans Une aventure de Laurent Saint-Pierre, Mission en Ouzbékistan n’a rien d’imaginaire. La mer d’Aral est effectivement en voie d’assèchement. Certains intérêts voient avantage à ce que le désert ensevelisse la mer, mais quelques convaincus tentent d’inverser le cours des choses. Deux Canadiens s’immiscent dans l’affrontement et reçoivent leur part de coups. Le récit familiarise avec un monde trop peu connu. Il accorde aux femmes des rôles déterminants des deux côtés de la barricade et n’éprouve pas le besoin de faire triompher le machisme. Un peu trop de rencontres fortuites, mais on en supporterait davantage pour que survive la mer d’Aral.
Gilles Devindilis, Mission en Ouzbékistan, Une aventure de Laurent Saint-Pierre, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 208 p. ; 11,95 $.
Au premier abord, le bouquin de Marc Robitaille semble un hommage aux agonisants Expos de Montréal. La lecture corrige cette impression injuste. Oui, le sport, le baseball en particulier, occupe l’avant-scène, mais il sert de prétexte à des découvertes importantes. On peut s’amuser sans disputer la série mondiale. Les parents peuvent se révéler, malgré leur évidente incompétence, des partenaires efficaces ; ils réveilleront les élus. Marc Robitaille multiplie les clins d’œil en direction des « avertis » : ils souriront au rappel des superstitions des chroniqueurs sportifs. L’une, non écrite, interdit d’évoquer trop tôt le match sans point ni…
Marc Robitaille, Un été sans point ni coup sûr, Les 400 coups, Montréal, 2004, 143 p. ; 19,95 $.
Dans Clone à risque, Diane Bergeron confie un autre problème à sa policière Annie Jobin. La jeune femme, pourtant échaudée lors d’une enquête précédente, succombe encore à sa témérité. Pour notre plus grand plaisir cependant. Puisqu’une secte utilise des jeunes femmes comme porteuses d’embryons clonés, la policière se convertit en proie. En sortira-t-elle vivante ? La question du clonage est traitée de manière sérieuse et presque clinique. La direction policière accepte trop aisément qu’une enquêteuse inexpérimentée se jette dans la gueule du loup, mais Diane Bergeron compense ce raccourci par son aptitude à créer la tension.
Diane Bergeron, Clone à risque, Pierre Tisseyre, Saint-Laurent, 2004, 264 p. ; 12,95 $.
Superbe conteur, Gordon Korman, une fois encore, déstabilise son auditoire en quelques pages avec Sous la mer, T. 1, L’épave. Quatre jeunes aux parcours diversifiés participent à une exploration sous-marine aux objectifs incertains. Ils n’ont ni affinité les uns pour les autres ni compétence uniforme ; les dangers communs les rapprocheront. Grâce à Gordon Korman, ces jeunes sont denses, plausibles, criants de naturel. L’intrigue révélera sa trame par le regroupement des observations. Écriture apparemment spontanée mais parfaitement maîtrisée.
Gordon Korman, Sous la mer, T. 1, L’épave, trad. de l’anglais par Claude Cossette Scholastic, Markham, 2004, 144 p. ; 8,99 $.
Le terme de Loyalistes éveille peu d’échos au Québec francophone. On sait qu’ils quittèrent un jour les États-Unis et s’implantèrent au Canada, mais nos notions s’arrêtent là. En suivant d’Albany à Sorel une jeune loyaliste, Karleen Bradford projette un éclairage inédit sur un pan oublié de l’histoire québécoise dans Une vie à refaire, Mary MacDonald, fille de Loyaliste. La documentation est précise et abondante. Modes de transport, usages culinaires, drames des familles traversées par des convictions opposées, tout est reconstitué par le récit d’une enfant. Mary MacDonald aurait pu correspondre avec Anne Frank.
Karleen Bradford, Une vie à refaire, Mary MacDonald, fille de Loyaliste, trad. de l’anglais par Martine Faubert, Scholastic, Markham, 2004, 225 p. ; 16,99 $.
Le fait que Jean Lacombe n’ait pas su ou voulu choisir entre le métier de dessinateur et celui de romancier nous vaut un petit livre d’une rare originalité. En quelques planches, le Lacombe dessinateur plante le décor de L’orignal blanc. Le Lacombe romancier prend ensuite la relève pour préciser les identités. Puis refait surface l’autre Lacombe. Course à relais qui confie au dessin ce qui ouvre au mystère et à l’écriture ce qui exige la précision. Résultat séduisant.
Jean Lacombe, L’orignal blanc, Éditions du soleil de minuit, Saint-Damien-de-Brandon, 2004, 96 p. ; 9,95 $.
Le sous-titre du Dernier saut de l’ange de Thierry Gautier attire d’emblée l’attention : Journal intime d’un suicidé. La formule n’a rien du cliché. L’auteur ne livre pas le journal qu’aurait pu écrire Christophe avant de plonger vers la mort, mais celui que Christophe établit après son plongeon. Le regard, c’est celui que jette le jeune suicidé sur son existence de l’autre côté de la mort. Une communication rattache le jeune « mort » à une vivante. Un dialogue se noue entre la jeune femme qui ne voit pas son interlocuteur, mais le sait présent. Ce n’est pas un ésotérisme à la petite semaine que propose Thierry Gautier, mais un magnifique questionnement sur la vie après la mort. Admirable amitié entre le jeune suicidé et celle qui voudrait l’apaiser suffisamment pour que l’éternité lui soit douce. Petit livre déroutant, pénétrant et chaleureux.
Thierry Gautier, Le dernier saut de l’ange, Journal intime d’un suicidé, Les 3 Spirales, Saint-Martin de la Brasque, 2003, 94 p. ; 23,95 $.
Oscar Wilde : Les vertiges de l’ambivalence
Esprit subtil et excentrique, fin lettré prodigieusement doué, homme élégant aux goûts raffinés, Oscar Wilde fut parfois apparenté aux romantiques en raison d’une personnalité tragique et narcissique et d’une troublante attirance pour la décadence.
Causeur génial pour les uns, écrivain mineur pour d’autres, il reste l’auteur de célèbres aphorismes, toujours plus profonds qu’il ne semble de prime abord, à l’image, sans doute, de leur créateur.Oscar Fingal O’Flahertie Wills Wilde naît à Dublin le 15 octobre 1856. Il est le plus jeune . . .
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Pierre Véry (1900-1960)
Auteur d’une quarantaine de romans et de nombreuses nouvelles, Pierre Véry (1900-1960) commence sa carrière en écrivant deux romans difficilement classables dans la production littéraire française des années 1930. Puis s’étant, par hasard, essayé au roman policier à énigme, il en transgresse les règles pour inventer un nouveau genre, « le roman de mystère ».
Les débuts littéraires ou l’histoire d’un quiproquo
Sa profession de bouquiniste et le côtoiement de prestigieux écrivains, comme André Gide, l’un des clients de sa boutique . . .
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Erich Maria Remarque : d’une guerre à l’autre
Au commencement de l’œuvre d’Erich Maria Remarque, et à son achèvement, la guerre. Celle de 14-18, qu’il a faite et où il a été blessé : À l’ouest rien de nouveau (publié en 1929) ; celle de 39-45 : Un temps pour vivre, un temps pour mourir (publié en 1954). Entre les deux, les nazis ont brûlé ses livres, il est déchu de sa nationalité allemande.
Comme Thomas, Heinrich et Klaus Mann, Döblin, Werfel, Brecht, Broch, comme tant d’autres écrivains, artistes, savants . . .
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Un repos forcé pour une lecture qui ressource (Les dix petits nègres d’Agatha Christie)
Quand on m’a demandé d’écrire un texte sur le livre jamais lu, j’ai bien pris le temps d’y penser. Rien d’étonnant, n’est-ce pas ? La réflexion fut toutefois brève. Le comte de Monte-Cristo m’est venu rapidement à l’esprit. Non, je ne l’ai jamais lu. Pourtant, Dieu sait que je suis une dévoreuse de livres. Depuis des années, ce chef-d’œuvre d’Alexandre Dumas trône dans notre bibliothèque, juste à côté de La reine Margot
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Au pays du Blisse, avec Stéphane-Albert Boulais
On assiste au début de chaque saison littéraire au couronnement d’œuvres que l’on dit incontournables, pour toutes sortes de raisons. Les œuvres de Stéphane-Albert Boulais ne sont pas de celles-là et peut-être ignorez-vous jusqu’au nom de cet écrivain de l’Outaouais qui est pourtant de la trempe des grands conteurs.
Professeur de cinéma et d’histoire de l’art au Cégep de l’Outaouais, chargé de cours à l’Université Saint-Paul et à l’Université d’Ottawa, Stéphane-Albert Boulais a contribué à des ouvrages . . .
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Jean Reverzy (1914-1959)
Encore trop ignorés par le public et la critique, les romans, les nouvelles ainsi que les divers écrits de Jean Reverzy sont désormais entièrement publiés et ont fait l’objet d’excellentes études, comme les articles recueillis par la revue Sud, en 1987, et Lire Reverzy, dix ans plus tard1.
Parce qu’il était médecin, parce qu’il a créé des personnages de médecins et de malades, voire de médecins malades inspirés par sa propre expérience, parce qu’il a . . .
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