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Corps perceptifs*

Écouter sa propre musique. Rencontre entre danse, écriture et communauté sourde et malentendante

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Avez-vous déjà osé danser sans musique ?

Cette sensation grisante qui embrase le corps lorsque nos mouvements sont synchrones avec le rythme, lorsque nos membres s’émeuvent des notes ou que nos fondements tremblent avec les basses. Pourrions-nous ressentir cette même liberté, cette même euphorie de la danse sans la musique ?

Au printemps 2019, la chorégraphe Sara Hanley, en collaboration avec Camille Lacelle-Wisley (danseuse professionnelle), Jonathan Goulet (compositeur), Veronica Mockler (vidéaste) et Mireille Cliche (poète), a invité une dizaine de personnes de la communauté sourde et malentendante du grand Montréal à participer à des ateliers explorant « un espace de création autour du corps en mouvement ».

Corps perceptifs1, délicat carnet découlant de cette cocréation, est à la fois documentaire, témoignage et poésie. En pas plus d’une vingtaine de pages, l’ouvrage présente au premier plan des photographies évocatrices des ateliers et des extraits des textes composés par Mireille Cliche, mais aussi les responsables du projet et le centre Turbine, organisme-lieu où se déploie cette initiative. Les textes complets sont aussi offerts dans un autre carnet d’un format encore plus petit que celui de Corps perceptifs pour mieux saisir toutes les étapes de la démarche.

Je me souviens du sentiment lors de mon premier cours de danse contemporaine. Un mélange de hâte, de gêne et d’exaltation. Un désir profond de laisser-aller teinté de la crainte du regard des autres. Mais la danse a ce pouvoir d’offrir un espace sans jugement, un espace de libération à celles et ceux qui s’y abandonnent. Lorsque j’ai pris connaissance de Corps perceptifs, j’ai été émue en imaginant ces moments pleins à la fois de l’absence de musique et de la parole des corps en mouvements.

« Me sentir emmurée, les mains muettes, les bras incompétents. Être entourée de corps volubiles. Constater que si le mien parle, c’est à mon insu. »

La prose poétique de Mireille Cliche narre les images du petit recueil, nous raconte les émotions palpables du groupe et de l’écrivaine. Certains textes, selon moi, auraient gagné à tendre vers le littéraire plutôt que vers le témoignage. La compréhension des moments relatés aurait été autre, certes, mais aurait été tout de même. Dans d’autres fragments, particulièrement celui indiquant les consignes d’un atelier, l’équilibre entre la description et la poésie est atteint, offrant des vers aux images simples et douces, rappelant celles de la méditation.

Somme toute, ce petit recueil répond bien à sa mission de témoignage et de documentation. À mi-chemin entre œuvre de création et carnet d’informations, Corps perceptifs est un des résultats d’un magnifique projet qui, je l’espère, continuera d’égayer plusieurs autres membres de la communauté sourde et malentendante.

On peut se procurer Corps perceptifs gratuitement en écrivant à Nathalie Buisson, [email protected].

Il est aussi possible de visionner l’œuvre documentaire de l’artiste Veronica Mockler : https://vimeo.com/387493286.


* Corps perceptifs : Les participant.e.s issu.e.s de la communauté sourde et malentendante de Montréal en exploration durant un atelier, ©Dominic Morissette.

1. Corps perceptifs, centre Turbine, 2020 ; 0 $.

 

EXTRAIT

Laissez l’air soutenir vos bras.
Arrondissez-les pour mieux recevoir.
Portez le froid qui vous enveloppe.
Allégez-le jusqu’à ce qu’il devienne résille.

[…]

Déroulez le dos, explorez sa douleur.
Écoutez trembler vos muscles fatigués.
Ancrez vos pieds, transformez-vous en algue.
N’attendez rien.

[…]

Pleurez en silence l’instant qui s’éteint.
Remodelez-le avec vos doigts.

[…]

Visualisez un escalier qui mène ailleurs.
Montez-le.
Ne marchez plus sur vos genoux.
Étreignez votre joie.
Ne répondez à aucun ordre.

p. 16

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