Voir aussi :
Paroles vivantes 1 – Nommer les pratiques
Paroles vivantes 2 – La pluralité des publics
En entamant la plénière, lors du dernier segment de Paroles vivantes, nous avions comme objectif de discuter de trois questions soulevées lors des échanges précédents et sur lesquelles, nous semblait-il, le groupe pouvait espérer s’entendre. Je me propose de faire un bref retour sur ces trois sujets.
Se nommer
D’entrée de jeu, les organisateurs de Paroles vivantes ont évoqué la question de la dénomination. Certains parlent de littérature vivante, d’autres de spectacles littéraires, de littérature augmentée ou d’arts littéraires. Comment pouvons-nous nommer notre pratique ? Comment souhaitons-nous être nommés ?
Une étiquette est moins superficielle qu’on peut le croire. Se nommer permet d’atteindre plusieurs objectifs. C’est une première étape pour favoriser la réunion de toutes et tous ; si l’étiquette est bien choisie, elle permettra le regroupement des forces vives d’un secteur. De plus, se nommer facilitera la relation avec les partenaires et éventuellement l’accès à du financement ou à du soutien institutionnel. Une pratique dont le nom change en fonction des intervenants a plus de mal à se faire reconnaître. C’est aussi une façon d’établir des frontières : chaque fois qu’on nomme, on fixe une frontière qui inclut un certain nombre de pratiques et en exclut d’autres.
Il nous semblait donc important de tenter de trouver un consensus sur l’étiquette sous laquelle les pratiques discutées pendant l’événement peuvent se retrouver. Le consensus rapidement établi adopte une large catégorie, les arts littéraires, qui englobe toute une série de pratiques (le livre et l’édition, la littérature jeunesse, la bande dessinée, mais aussi la littérature vivante, la littérature hypermédiatique, la littérature augmentée, etc.). Pendant les rencontres, les discussions ont surtout tourné autour de ce que certains appellent la littérature vivante, soit la mise en scène de littérature sous diverses formes. Si nous avons aussi abordé la question de la littérature hypermédiatique, je suis la première à reconnaître qu’elle relève de paramètres bien différents de la littérature vivante.
La dénomination « arts littéraires » a l’avantage de regrouper toutes ces pratiques. De plus, elle a le mérite, comme le soulignait Simon Dumas de Rhizome, de nous rappeler que la littérature est aussi de l’art, contrairement à ce que sous-entend l’expression « arts et lettres ». « Arts littéraires » a donc fait l’unanimité lors de la plénière de l’événement ; il reste à en imposer l’usage.
S’organiser
Si nous nous étions fixé comme objectif lors de la plénière de l’événement de déterminer plusieurs actions concrètes pour donner suite à cette rencontre, nous avons rapidement dû considérer que la question de l’organisation du secteur était centrale à ce stade-ci de la discussion.
Chaque fois qu’un nouveau secteur veut s’organiser, les questions soulevées sont nombreuses. Un réseau ? Une association ? Une table de concertation ? Veut-on une structure formelle ? Qui peut en être membre ? Comment cette structure trouvera-t-elle les moyens de ses ambitions ?
Certaines idées fortes émanaient de la conversation, à commencer par le fait que les arts littéraires doivent se doter de la capacité de parler d’une seule voix. On souhaite une concertation qui dépasse les frontières du Québec et qui a une ouverture sur la francophonie canadienne. Plusieurs voix s’élèvent pour exiger un contact régulier et profond avec les différentes régions pour éviter que les réalités régionales soient oblitérées au profit des réalités des centres urbains.
Sur le plan des actions que pourrait poser une instance concertée, la liste n’est pas exhaustive, mais fournit déjà un menu chargé :
- le développement d’une voix commune du secteur et la sensibilisation du milieu du livre aux réalités des arts littéraires ;
- l’inventaire de l’offre de production et de diffusion ;
- le partage d’outils, de bonnes pratiques et d’expertise ;
- l’établissement de normes communes (pour les cachets par exemple) ;
- l’organisation de vitrines spécifiques aux arts littéraires ;
- la sensibilisation des diffuseurs pluridisciplinaires à l’égard des arts littéraires.
À plus long terme, d’autres projets porteurs ont été évoqués. On pense à un programme de résidences pour les arts littéraires, à une offre de services pour des artistes indépendants qui s’inspirerait du modèle de l’organisme Diagramme en danse, à la mise en place de réseaux de tournées ou encore à une initiative inspirée de Jouer dehors et qui accompagnerait les artistes qui souhaitent créer des projets de littérature vivante hors les scènes traditionnelles.
Cette discussion permet de jeter un regard en surplomb sur l’ensemble du terrain à développer : le champ est vaste et la tâche, imposante ! N’empêche qu’il y a là les premiers jalons de ce qui, après de plus amples discussions, pourrait devenir quelque chose comme un plan d’action pour le secteur. Les lignes de force de cet échange sont une valorisation de la pratique en arts littéraires, une plus grande reconnaissance de cette pratique auprès des institutions, des milieux artistiques et du public, une meilleure diffusion et une meilleure concertation.
Se retrouver
À la fin de la rencontre, les participants ont exprimé le souhait que Paroles vivantes se tienne à nouveau en 2020 pour que l’on puisse poursuivre les discussions. Cette rencontre permettrait de rendre compte des avancées accomplies par les différents comités mis en place et de consacrer une partie des discussions aux besoins particuliers des créateurs et créatrices des arts littéraires. En effet, certains participants ont noté qu’une large part de l’attention, pendant cette première rencontre, aura porté sur les enjeux de diffusion ; il serait maintenant temps d’aborder de front les enjeux de création.
Il ne fait aucun doute qu’une telle rencontre est souhaitable et qu’elle ne doit pas trop tarder. Les discussions tenues en février dernier ont exposé un fruit déjà bien mûr : le milieu doit poursuivre son travail de concertation et réfléchir à une façon de penser cette concertation à plus long terme.
Le talon d’Achille de ce type d’événements, c’est la mobilisation à moyen terme. Dans une salle remplie de gens passionnés comme ceux qui étaient réunis à Québec en février, les conditions semblent toujours exceptionnelles et une certaine pensée magique pousse à croire que tout sera possible. Le problème, c’est que chacun, malgré sa bonne foi, est vite happé par un quotidien déjà surchargé lorsque l’événement se termine.
Se donner rendez-vous dans un an était donc une bonne façon d’espérer maintenir les efforts déployés pendant ces deux jours. Le fait que Rhizome accepte d’assumer un certain leadership sur ce dossier est aussi un gage de succès. Il faut, sous une forme ou une autre, que quelqu’un agisse un peu comme un secrétariat de ce type d’initiatives. Par expérience, si on se fie à la seule organisation spontanée d’un tel groupe, on recueille bien des déceptions.
Les éléments semblent donc bien en place pour un prochain rendez-vous qui permettrait de pousser plus loin la réflexion, de mesurer les pas concrets accomplis et, éventuellement, de mettre en place un plan d’action, sous une forme ou une autre, qui pourrait agir un peu comme une carte routière pour que les prochaines années soient celles où les arts littéraires atteignent leur pleine reconnaissance.
Voir aussi :
Paroles vivantes 1 – Nommer les pratiques par Annie Landreville
Paroles vivantes 2 – La pluralité des publics par Michelle Corbeil