Voir aussi :
Paroles vivantes 1 – Nommer les pratiques
Paroles vivantes 3 – Penser la suite
Qui sont les publics des arts littéraires de la scène ? Quel est leur profil ? Comment peut-on les rejoindre ? Quelles sont les particularités régionales en matière de publics des arts littéraires ? Nécessaires préludes à la circulation des œuvres, ces questions interrogent autant leur esthétique que leur mise en marché.
Lorsque l’Union des écrivaines et des écrivains québécois (UNEQ) crée son festival littéraire en 1994, il existe peu d’événements littéraires au Québec en dehors des salons du livre. Il y a bien sûr le Festival international de la poésie de Trois-Rivières, le Festival de Trois, le Festival interculturel du conte du Québec et la Rencontre québécoise internationale des écrivains, mais il n’existe pas de manifestation visant à promouvoir tous les genres littéraires auprès du grand public. Dans les librairies, on n’accueille les écrivains que pour des séances de signature. Il y a peu de relève pour succéder à des passionnés comme Janou Saint-Denis ou Gaston Miron. C’est dans cet esprit que l’UNEQ décide de créer un festival littéraire visant à promouvoir et à faire rayonner de façon originale la littérature québécoise. Le jazz, le théâtre, le cinéma et la danse ont leurs festivals. La littérature a dorénavant le sien.
Le temps a passé depuis cet automne 1994. Le Festival de la littérature, successivement appelé Festival de la littérature mondiale puis Mondial de la littérature, porte désormais le nom de Festival international de la littérature, soit le FIL, et est devenu indépendant de l’UNEQ. Au cours des 25 dernières années, le paysage littéraire a aussi considérablement changé. Et il y a aujourd’hui de nombreux festivals littéraires tant au Québec que dans le reste du Canada. Les diffuseurs littéraires se font aussi plus nombreux. Tous ont acquis de l’expérience, se sont professionnalisés. Chacun a su, au fil des ans, développer une vision et une identité qui lui sont propres tout en ayant le même objectif, soit celui de partager avec le plus grand nombre le plaisir des mots et de la littérature. Ce qui ne signifie aucunement qu’il ne peut y avoir de collaborations entre ces différents organismes et événements, voire des partages de ressources ou d’expertises.
Qui sont les publics des arts littéraires ?
Il existe de nombreuses enquêtes sur les pratiques culturelles, par exemple la fréquentation des théâtres ou d’autres salles de spectacle, l’écoute de la musique ou la lecture. Nous en savons aussi beaucoup sur le public des arts de la scène, que ce soit le théâtre, la danse ou encore les concerts, grâce aux données recueillies par leurs associations professionnelles. Par contre, il n’existe pas encore de véritable étude qui permettrait de dresser un portrait sociodémographique des publics d’un spectacle littéraire, d’une lecture théâtralisée, de la poésie performée ou d’autres formes de ce que nous nommerons désormais « les arts littéraires ».
Lors de cet atelier sur la pluralité des publics, il nous est apparu évident que nous ne pouvons pas nous fier aux statistiques liées à l’édition, à la vente des livres ou encore à la fréquentation des librairies et des bibliothèques pour en savoir davantage sur ceux et celles qui assistent à nos manifestations. Ensemble, nous avons tenté de brosser un premier portrait de ce ou ces publics culturels qui s’intéressent à la littérature hors le livre papier et qui se présentent sous différentes formes.
Quel est notre premier public ?
Personne ne sera surpris d’apprendre que le premier public des arts littéraires est essentiellement constitué de grands lecteurs puisque la littérature est au cœur de nos différentes pratiques. Il faut toutefois être conscients, comme l’a souligné très justement Christiane Vadnais, que « ce n’est pas parce qu’on aime lire un livre qu’on se déplace pour assister à un spectacle littéraire ».
Il n’en reste pas moins que ce public – qui est celui qui fréquente aussi les librairies, les bibliothèques et les salons du livre –, parce qu’il aime les livres, est à l’origine du succès de nos manifestations, comme l’a mentionné Marie-Andrée Lamontagne (Festival littéraire international Metropolis Bleu). Il faut mentionner que cet auditoire apparaît, à plusieurs d’entre nous, comme vieillissant, ce qui justifie l’importance du renouvellement du public, que ce soit par des choix judicieux en matière de programmation pour Johanne Aubry (Théâtre de la Ville de Longueuil) et Dominique Lemieux (Maison de la littérature), ou de promotion et de communication auprès de clientèles plus jeunes pour Raphaël Bédard-Chartrand (Correspondances d’Eastman). Il arrive aussi que la problématique soit inversée : l’équipe du Bureau des affaires poétiques cherche ainsi davantage à rejoindre les lecteurs plus âgés, leur assistance étant principalement composée de jeunes dans la vingtaine. Pour Émilie Turmel (Festival Frye), il importe d’avoir des outils pour savoir ce que les gens lisent, ce qu’ils aiment, de manière à les rejoindre de façon plus efficace, tout particulièrement quand, comme elle, on dirige un événement bilingue.
Quel est notre public potentiel ?
Chaque événement, manifestation ou festival a ce qu’on peut nommer un public potentiel, et c’est rejoindre ce public qui pose la plupart du temps un réel défi. Comment peut-on l’intéresser sans pour autant renier nos missions et nos valeurs ou encore négliger notre premier public formé de ces fidèles personnes qui nous suivent, et ce, parfois depuis plusieurs années ? Voilà une des questions auxquelles on doit répondre lorsqu’on cherche à diversifier ou à augmenter les publics des arts littéraires vivants.
De nombreuses études estiment que seule une minorité de la population est touchée directement par les manifestations culturelles : il s’agit de gens qui vont au théâtre, au concert, aux spectacles de danse, au cinéma ou encore qui visitent des expositions, qui lisent des livres. Selon cette logique, il y aurait donc une majorité de personnes qui formeraient des non-publics ? Mais alors comment définir tous ceux et celles qui sont touchés par les arts sans souvent même le savoir ? On n’a qu’à penser à ceux et celles qui observent des reproductions de tableaux dans la vitrine d’une boutique, écoutent des airs d’opéra faisant office de bandes sonores pour des publicités, etc. Peut-on vraiment parler de ce public involontaire comme d’un non-public ? Et que fait-on de celui qui dit ne pas aimer la littérature mais qui va écouter les 12 hommes rapaillés et qui adore ça ?
Faut-il vraiment opposer publics et non-publics, lecteurs et non-lecteurs ? Pourquoi ne pas plutôt parler de public potentiel ? Le Festival international de la littérature a fait, pour sa part, le pari de convaincre les amoureux des autres formes d’art de s’intéresser à la littérature, au livre et à lecture. C’est aussi le cas de Rhizome, selon Simon Dumas, qui a fait le pari de créer des manifestations littéraires à caractère multidisciplinaire et qui cherche à croiser les différents publics en misant sur le fait que la littérature peut traverser toutes les autres formes d’art tout en étant souveraine.
Par contre, pour Raphaël Bédard-Chartrand, le public potentiel des Correspondances d’Eastman ne se limite pas au public des autres formes d’art. Il est formé de tous les publics possibles et ce, dans un esprit de démocratisation de la lecture et de l’écriture. Avec Les Donneurs, Jean Pierre Girard, quant à lui, a choisi de faire descendre la littérature dans la rue en offrant à des gens ne sachant pas qu’ils aiment la littérature la possibilité de rencontrer des écrivains dans des endroits publics.
Dominique Lemieux précise que, pour rejoindre des publics potentiels, la Maison de la littérature et Québec en toutes lettres n’hésitent pas à miser sur des partenariats avec d’autres organismes ou institutions culturels comme des cinémas ou encore des musées. Philippe Garon et Annie Landreville ajoutent qu’il ne faut pas non plus oublier de travailler avec le public scolaire, qui pourrait nous permettre de développer le public de l’avenir.
Et qu’en est-il des publics empêchés ?
C’est Carole Bisénius-Penin, chercheuse à l’Université de Lorraine, qui a mentionné lors de nos échanges cette catégorie de public qui est trop souvent négligée dans la plupart des études sur les pratiques culturelles. Ces publics empêchés sont, selon sa définition, les personnes ne pouvant se déplacer ou ayant difficilement accès aux lieux culturels ; ils rassemblent les catégories suivantes : malades, personnes à mobilité très réduite, personnes très âgées, détenus, itinérants, nouveaux immigrants en processus de francisation … Tous s’accordent pour dire que des efforts doivent être déployés tant sur le plan de la programmation que sur celui de la médiation pour augmenter l’accessibilité des arts littéraires à tous les citoyens.
Cette définition de « publics empêchés » nous a permis d’évoquer une autre réalité, soit celle vécue dans certaines régions éloignées. À ce sujet, Julie Boivin (CLAC Mitis) mentionne que l’un des principaux défis, dans une région comme le Bas-Saint-Laurent, demeure souvent d’amener les spectateurs vers un lieu de diffusion et ce, on s’en doute bien, principalement l’hiver.
Par ailleurs, il a aussi été mentionné, notamment par Annie Landreville, que si la gratuité ne règle pas tous les problèmes d’accessibilité, elle demeure encore une des options possibles pour attirer de nouveaux publics et permettre à certaines personnes d’assister aux manifestations littéraires.
Voir aussi:
Paroles vivantes 1 – Nommer les pratiques par Annie Landreville
Paroles vivantes 3 – Penser la suite par Catherine Voyer-Léger