Depuis quelques dizaines d’années, l’Extrême-Orient et ses cultures millénaires s’inscrivent au cœur des ouvrages d’un nombre croissant d’auteurs québécois. Au cours de la dernière décennie seulement, au moins une trentaine de titres (dont le tiers en 1999, 2000 et 2001, et la moitié sur le Japon) sont parus. De là, l’idée d’un périple littéraire guidé par les regards que posent des romanciers, des essayistes et des poètes sur l’Extrême-Orient. Regards intérieurs, imaginaires, critiques, exaltés, déçus, nostalgiques… Sans prétendre être exhaustif, ce périple, au cours duquel seront parfois proposées quelques pistes de réflexion, est avant tout une invitation à la découverte ou à la redécouverte.
En décembre 1934, Alain Grandbois s’embarque pour Saïgon. Il quitte assez vite l’Indochine pour l’Empire du Milieu. Après Canton, Shanghaï, Pékin, il remonte le fleuve Yang-tsé kiang jusqu’aux marches du Tibet, traverse la Mandchourie et séjourne un mois au Japon avant de revenir au Canada. Un voyage qui aura duré tout près d’un an au cours duquel il publie un recueil de poèmes, le fameux recueil d’Hankéou qu’on avait cru irrémédiablement épuisé mais qui a été réédité, à l’occasion du centenaire de la naissance de Grandbois en 2000, par les éditions de l’Hexagone en collaboration avec la Bibliothèque nationale du Québec. Ce long séjour lui inspire aussi les nouvelles du recueil Avant le chaos, publié après la Seconde Guerre mondiale, qui s’inscrit résolument en marge de la production littéraire de son époque, centrée sur le terroir.
Après Alain Grandbois, il faudra attendre une trentaine d’années avant que des auteurs québécois s’intéressent de nouveau à l’Asie orientale. À partir des années 1960, la force économique croissante du Japon, les philosophies orientales, la guerre du Vietnam sont autant de phénomènes socio-économiques qui attirent à nouveau le regard de l’Occident vers l’Extrême-Orient. Jean-François Somcynsky (Somain), avec sa nouvelle écrite en 1966, « Au Viêt-nam ou ailleurs », et publiée en 1975 dans le recueil Les grimaces (Tisseyre), et Claude R. Blouin, avec son recueil de nouvelles Du Japon et d’ici (Pleins Bords, 1975), sont sans doute les précurseurs de cette présence asiatique dans notre littérature. Ils restent toutefois, eux aussi, en marge de la production littéraire québécoise de ces années où prévalent les notions d’identité nationale, de la ville et du féminisme. Au fil du temps, ces questions se posent autrement et les réponses proviennent aussi de voix venues d’ailleurs. Une dizaine d’années plus tard, Paul Ohl publie son best-seller Katana (Québec Amérique, 1986), sur une époque charnière de l’histoire du Japon. Mais c’est surtout à partir du début des années 1990 que les auteurs – dont certains d’origine asiatique – et les types d’ouvrages se multiplient.
« Je pars dans trois jours pour Tchentou. Et ce voyage n’a rien de mystérieux. Je veux tout simplement voir une Chine qui n’est pas encore à la portée des voyageurs du tour du monde en trois mois, celle des touristes de l’American Express ou de l’agence Cook. Je veux voir le visage de la vraie Chine, le visage des vrais Chinois.
Alain Grandbois, « Le rire », Avant le chaos, BQ, p. 146. »
Entre imaginaire et réalité intérieure
De la trentaine de titres recensés parus sur l’Extrême-Orient depuis le milieu des années 1970, une grande majorité sont des œuvres de fiction : romans, recueils de nouvelles, romans d’aventure ou pour la jeunesse. Chez certains auteurs, la référence à un lieu – L’homme de Hong Kong (Québec Amérique, 1986) d’Hélène Rioux – ou à un personnage asiatique – La déconvenue1 de Louise Cotnoir ou Les mains si blanches de Pye Chang2 de Francine Allard – est accessoire. Le propos est tout autre et n’a que fort peu à voir avec l’Asie. Par contre, chez ceux qui ont placé ces peuples et ces cultures au centre de leurs textes, on distingue une diversité de visions qui pourraient être regroupées selon quatre approches.
Pour certains, l’Extrême-Orient relève davantage du mythe. Lieu imaginaire ou imaginé, il devient plus précisément le reflet du parcours intérieur du personnage principal. Ainsi, le Japon du beau roman intimiste d’Aude, L’homme au complet (XYZ, 1999), apparaît-il comme le miroir du cheminement intérieur de Simon qui a fui, dans l’anonymat et le rythme étourdissant du monde des affaires nippon, ses relations amoureuses et familiales. Il se retrouve pourtant chaque soir, dans son appartement à l’occidentale d’un quartier branché, à attendre anxieusement sur son écran d’ordinateur la suite du récit de son propre passé familial que lui envoie Chloé. Peu à peu ses remparts intérieurs se désagrègent. Avec l’appui discret de son interprète-accompagnateur, Simon résout ses conflits dans le silence de la maison du père de Kenji, loin de Tokyo. Le voyage au Laos s’avère aussi initiatique pour la narratrice de L’enfant du Mékong3 de Nicole Balvay-Haillot qui tente, après la mort de l’homme aimé, de reconstruire sa vie amoureuse. En dépit d’images splendides des sites et des gens, le côté « nouvel âge » du roman, qui se termine sur un happy ending un peu facile, peut toutefois lasser. Moins reflet que mythe, la Chine de L’enfant chinois (Québec Amérique, 1998) de Guy Parent se déploie dans l’imagination de Chang. Adopté à trois mois, Chang cherche son identité d’un côté comme de l’autre. Marginal au cœur du Chinatown dont il devient néanmoins l’un des virtuoses des cinq saveurs les plus appréciés, marginal auprès des prostituées et des sans-abris qu’il fréquente un temps. Il finira par retourner dans son pays natal où il découvrira que « mourir en Amérique (ou) en Chine, cela n’a plus guère d’importance, ce sera toujours mourir sur terre ».
On pourrait qualifier la deuxième approche de « rencontre Orient-Occident ». Dans ces romans ou nouvelles – Petite géométrie du cœur (Boréal, 1994) de Claude R. Blouin, La naissance du monde (Tisseyre, 2000), La main du temps (Vermillon, 1998) et Le Chien de Shibuya4 de Jean-François Somain, À l’encre de Chine (Humanitas, 1994) de Lisa Carducci, L’enfant dragon (Libre Expression, 1994) de Paul Ohl, Tokyo express (Vents d’Ouest, 1998) et Taïko5 de Marie-Josée L’Hérault –, l’auteur met en scène personnages occidentaux et asiatiques confrontés avec la culture de l’autre. Ce regard porté sur les rapports Orient-Occident est rendu de façon particulièrement efficace dans certaines des nouvelles de Tokyo express et de Taïko de Marie-Josée L’Hérault, qui a vécu quelques années à Tokyo où elle enseignait. Dans ses nouvelles, elle raconte des faits banals de la vie quotidienne. Mais derrière l’anecdote parfois teintée d’humour se cachent le désarroi et la difficulté de briser les barrières pour aller vers l’autre. Dans « Le futon » (Tokyo express), par exemple, Steve et Virginia habitent le même immeuble que Masame et sa sœur Aroko ; tous s’observent et se critiquent, déconcertés par le comportement des « étrangers ». Ou encore dans « Ultraman » (Taïko), Yuko, marginalisée par son obésité, se confie brièvement à Marjorie avant que les convenances nipponnes ne reprennent le dessus. Cette rencontre Orient-Occident sert aussi de toile de fond au roman Le chien de Shibuya où, au cours d’un échange scolaire, un jeune garçon se trouve mêlé malgré lui aux derniers vœux exprimés par un vieil homme. Au-delà de la fiction, Jean-François Somain poursuit manifestement un but pédagogique : ce roman pour la jeunesse contient de nombreuses photos et une annexe qui, sous le titre « Pour continuer à découvrir le Japon », fournit de nombreux renseignements sur le pays et sa culture.
« il est facile d’imaginer que le Japon est tout entier un jardin de pierres et conclure, après un premier coup d’œil, qu’il n’est qu’une immense cour d’usine. ( ) il faut prendre le temps de mesurer la distance qu’il y a entre notre désir de connaître le Japon et le désir qu’il ait réponse à nos questions, qu’il ait pour nous la réponse, le temps de nous arrêter aux questions que le Japon propose. »
Claude R. Blouin, Du Japon et d’ici, Pleins Bords, p. 171-172.
Cette tentation pédagogique devient, de façon détournée, le trait dominant d’une troisième approche perçue chez les deux seuls auteurs ayant choisi de mettre uniquement en scène des personnages asiatiques, japonais en l’occurrence. Très documenté, Katana, sous-titré Le roman du Japon, raconte les jeux de pouvoir qui ont mené, au XVIIe siècle, à la création de l’Empire du Soleil levant sous la férule d’Hideyoshi. Détails et précisions abondent dans ce best-seller de Paul Ohl dont la trame fictionnelle est parfois complètement diluée dans le récit des faits historiques. Même abondance d’explications dans L’oreille gauche6, du cinéaste et écrivain Michel Régnier qui a remporté le Prix Canada-Japon. Le roman raconte l’histoire de Masato Yamada, un employé de banque affligé d’un léger handicap – une minuscule oreille gauche – qui empoisonne ses amours et sa vie jusqu’à son ultime conséquence. À travers cette tragédie intime, Michel Régnier traite de la marginalité, du devoir de conformité et de la paralysie créée par les convenances. Fidèle à ses préoccupations et à son engagement social clairement revendiqué, il soulève aussi d’autres problèmes cruciaux auxquels le Japon est également confronté : la hausse de l’immigration et les rapports Nord-Sud, la survie du patrimoine culturel et la protection de l’environnement. Le mariage fiction-idées et le recours à des notes ou des phrases en japonais immédiatement suivis de leur traduction en français ne sont toujours des choix heureux et l’intensité dramatique de ce roman émouvant en souffre par endroits. La surabondance de précisions, d’explications érudites font en sorte que, à l’inverse de l’effet recherché, Paul Ohl et Michel Régnier accentuent la distance ou la dissonance du lecteur avec les personnages japonais dont ils tentent pourtant de traduire l’intériorité.
Cette intériorité, cette connaissance intime et intrinsèque, on la ressent d’autant plus chez ces écrivains québécois qui sont nés et ont grandi au sein de cultures asiatiques, que leurs œuvres mettent presque exclusivement en scène des personnages de leur pays d’origine. Avec Tsubaki (Leméac/Actes Sud,1999), Aki Shimazaki raconte l’histoire de Yukiko qui, pour mettre fin à une trahison insoutenable, commet un meurtre le jour même où la bombe atomique tombe sur Nagasaki ; le second volet de sa trilogie, Hamaguri7, paru chez le même éditeur, traite du même nSud dramatique du point de vue de son demi-frère Yukio. Le dernier volet, Tsubame (Leméac/Actes Sud 2001), traite davantage du passé secret d’un des personnages, d’origine coréenne, des deux premiers romans. Souvent comparée à Ying Chen – les deux ont immigré au Québec voilà une dizaine d’années et écrivent en français – Aki Shimazaki est davantage proche de l’écrivaine d’origine polonaise Tecia Werbowski. Même dépouillement, même émotion retenue, même trame dramatique liée à l’Histoire et marquée par le secret, la trahison et la quête de l’identité. Une quête que connaissent bien plusieurs personnages des Nouvelles orientales et désorientées (Le Serpent à Plumes, 1999) d’Ook Chung, né au Japon de parents coréens. Les plus émouvantes nouvelles de ce recueil d’abord publié à L’Hexagone en 1994 avant d’être réédité en France traduisent les désarrois des exilés : les mineurs coréens au Japon des « Noces de brume », les Canado-japonais des « Funérailles de Lazare » ou de « La prison de cristal ». Les récits « Trois leçons » et le magnifique « Chinatown » parus dans la nouvelle revue littéraire L’Inconvénient (mars et novembre 2000) soulèvent aussi cette question. Désarroi et quête d’identité apparaissent aussi comme des émotions dominantes dans l’œuvre de Ying Chen : La mémoire de l’eau (Leméac,1992), Les lettres chinoises (Leméac, 1993), L’ingratitude (Leméac/Actes Sud, 1995) – qui a été en lice pour le Prix Fémina, en nomination pour le prix du Gouverneur général et qui a remporté le prix Paris-Québec – et Immobile (Boréal, 1998) et Le champ dans la mer (Boréal, 2002). Ying Chen a maintes fois déclaré souhaiter écrire une œuvre universelle loin de toute référence ; il est cependant difficile pour le lecteur de faire abstraction de sa culture chinoise d’origine qui pose un filtre particulier sur des thèmes par ailleurs universels tels le conflit mère-fille exacerbé par la recherche d’identité propre de cette dernière dans L’ingratitude. Une telle obligation d’obéissance à la mère chez une fille de vingt-cinq ans, une telle prédominance du collectif sur l’individuel n’ont pas de corollaire en Occident.
« Mais ce qui navrait Fumiko, c’était de voir combien Junko avait mis ses talents en jachère pour se consacrer au service de son mari et de ses enfants, se pliant au moule de l’épouse japonaise sous l’œil approbateur et seigneurial de l’époux, lequel, s’avéra-t-il, s’accommodait fort bien de cette situation rangée. Peut-être était-ce toutes ces années passées dans un autre pays qui avaient déteint sur sa manière de penser, mais Fumiko ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine indignation en voyant Junko se prêter aux caprices dolents de son mari qui se laissait bichonner, délacer ses chaussures et mettre ses sandales, qui réclamait sa nourriture et son thé, qui proclamait ses moindres ukases, tel un roitelet sur son trône »
Ook Chung, « La prison de cristal » in Nouvelles orientales et désorientées, Le Serpent à Plumes, p. 206.
Souvenirs et témoignages
En parallèle aux œuvres de fiction, certains auteurs – dont plusieurs journalistes – ont aussi publié des récits de voyage, des essais fictionnels, des témoignages ou de la correspondance dans lesquels ils se mettent eux-mêmes en scène. Dès 1982, Claude R. Blouin, professeur de littérature et de cinéma, publie un premier essai fictionnel, Le chemin détourné (Hurtubise HMH), sur le cinéma japonais dont il est un spécialiste mondialement reconnu. Suivront Dire l’éphémère (1983) sur l’estampe et Taire l’essentiel (1987) sur la littérature japonaise, tous parus chez le même éditeur. En 1997, il publie également un récit de voyage fort original : La ville où fleurissent les nuages (Les 400 coups). Sous-titré Carnets d’un cinéphile à Tôkyô, cette réflexion sur le 7e art confronte, sur le ton de la confidence et les souvenirs de vingt ans de voyage au Japon, les réalités actuelles du pays avec le traitement qu’en propose son cinéma national.
Au début des années 1990, Lisa Carducci quitte le Québec pour aller travailler en Chine, pays dont elle tombe amoureuse ; elle décide de s’y installer et, quelques années plus tard, épouse un artiste chinois. Cet amour de la Chine, Lisa Carducci en témoigne dans La Chine, telle que je la vis (Littérature chinoise et Humanitas, 1998) et dans sa Correspondance de Beijing8. Certains passages de La Chine, telle que je la vis portent ombrage au désir de l’auteur d’apporter un regard objectif sur son pays d’adoption. Ceci mis à part, l’essai de Lisa Carducci demeure une lecture fort intéressante pour qui est curieux de la vie quotidienne à Beijing. L’ouvrage du journaliste Roger Clavet, La Chine de ma vie9, propose un autre regard sur la République populaire. Dans ce petit bouquin au ton humoristique – parfois un peu trop –, l’auteur rapporte nombre d’anecdotes sur les deux ans passés, avec sa famille, à Beijing puis au sein du personnel d’un hôtel de province. Le passionnant essai de Catherine Bergman, L’Empire désorienté10 s’éloigne, quant à lui, de l’anecdote personnelle et se rapproche davantage de la pratique journalistique que l’auteure a exercée de nombreuses années à Radio-Canada avant d’accompagner son mari ambassadeur au Japon. À travers une série de rencontres avec des gens hors du commun, Catherine Bergman dessine le portrait de ce Japon plein de contradictions. De contradictions, il est aussi question dans le récit du voyage au Vietnam de Pierre Gobeil, Cent jours sur le Mékong11. Grands voyageurs, les journalistes Louise Blanchard et André Dalcourt ont eu tout le loisir de réfléchir aux contradictions, celles des nations comme celles des êtres humains, tout au long d’un séjour de quelque neuf mois dans la presque totalité des pays d’Extrême-Orient. Ils en font le sympathique récit à deux voix dans les deux tomes de leur Sabbatique asiatique12. André Dalcourt a aussi profité de cette occasion unique pour réaliser des entrevues avec les grandes figures féminines de la politique dont, entre autres, Sirimavo Bandaranaike, premier ministre du Sri Lanka, Corazon Aquino, ex-présidente des Philippines, et Aung San Suu Kyi, chef de l’opposition birmane et Prix Nobel de la Paix 1991.
« Depuis l’enfance, chacun d’eux [les Japonais] s’est fait rappeler à chaque jour ce qu’il advient aux clous qui dépassent : on leur donne un coup de marteau. La seule façon d’échapper à cette règle, c’est de dépasser tellement, de façon si visible, manifeste, outrancière, qu’on se place hors normes. C’est la voie qu’a suivie Kiyomi Kikuchi et qui, du jour au lendemain, a fait d’elle une vedette. Car, malgré l’importance accordée au maintien de l’harmonie en toutes circonstances, il y a aussi place, dans la mythologie japonaise, pour le héros pur, armé seulement de son sens de la justice, qui se dresse sans peur contre les forces en place pour rétablir le droit. »
Catherine Bergman, L’Empire désorienté, Art Global/Flammarion Québec, p. 27.
Haïku d’Orient et d’Occident
Enfin, l’intérêt pour l’Extrême-Orient se manifeste par la voix des poètes. Mais outre le très beau texte poétique « Japon intérieur » du recueil Trois voyages (Asticou, 1982) de Somain, les poètes québécois se sont surtout intéressés à une forme particulière de la poésie japonaise classique : le haïku. Adopté d’abord par les poètes américains vers la fin du XIXe siècle puis par les Canadiens anglophones, dont bon nombre d’origine japonaise, le haïku se définit comme un poème de l’instant. « C’est simplement ce qui arrive en tel lieu, à tel moment », selon la formule de Matsuo Bashô (1644-1694), à qui on attribue la « paternité » du haïku, citée par Robert Melançon dans sa préface au recueil Cet autre rendez-vous (David, 1996) d’André Ducharme.
En plus d’animer un site internet sur ces « instantanés » hérités de la tradition littéraire nipponne, André Ducharme a publié plusieurs recueils de haïku, de tanka – autre forme poétique brève – et de renku – bref poème à deux voix – avec Lisa Carducci, Gordan Skiljevic et Carol Lebel, et a également dirigé la publication de plusieurs anthologies. Parmi celles-ci, Haïku, anthologie canadienne (Asticou, 1985), dans laquelle on retrouve, à côté des poètes canadiens-anglais et canado-japonais, les premiers québécois à pratiquer cette forme de poésie (Jean-Aubert Loranger, Simone Routier, Mgr Félix-Antoine Savard, Jocelyne Villeneuve, Jacques Brault), présente une passionnante découverte du genre. La plus récente, Haïku et francophonie canadienne13, propose un panorama où se côtoient poètes connus et moins connus tels, entre autres, les Yves Désy, Bianca Côté, Célyne Fortin, Jeanne Painchaud – auteure du savoureux Je marche à côté d’une joie (Les Heures bleues, 1997) inspiré par l’apprentissage du langage de son fils – et Carol Lebel qui publiait, à la fin de 2000, un recueil aux notes mélancoliques, Des mondes nous échappent14.
« glisser sur les jours et tels les fruits du plateau être vieux trop tôt »
André Duhaime, Haïku et francophonie canadienne, David, p. 41.« Réveillon – Seul, dans le fond de la cour, le bonhomme de neige. »
Jocelyne Villeneuve, Haïku et francophonie canadienne, David, p. 99.« amis d’enfance nos souvenirs communs si déformés »
Carol Lebel, Des mondes nous échappent, Le Loup de Gouttière, p. 29.« Je pars dans trois jours pour Tchentou. Et ce voyage n’a rien de mystérieux. Je veux tout simplement voir une Chine qui n’est pas encore à la portée des voyageurs du tour du monde en trois mois, celle des touristes de l’American Express ou de l’agence Cook. Je veux voir le visage de la vraie Chine, le visage des vrais Chinois. »
Alain Grandbois, « Le rire », Avant le chaos, BQ, p. 146.« il est facile d’imaginer que le Japon est tout entier un jardin de pierres et conclure, après un premier coup d’œil, qu’il n’est qu’une immense cour d’usine. ( ) il faut prendre le temps de mesurer la distance qu’il y a entre notre désir de connaître le Japon et le désir qu’il ait réponse à nos questions, qu’il ait pour nous la réponse, le temps de nous arrêter aux questions que le Japon propose. »
Claude R. Blouin, Du Japon et d’ici, Pleins Bords, p. 171-172.« Mais ce qui navrait Fumiko, c’était de voir combien Junko avait mis ses talents en jachère pour se consacrer au service de son mari et de ses enfants, se pliant au moule de l’épouse japonaise sous l’œil approbateur et seigneurial de l’époux, lequel, s’avéra-t-il, s’accommodait fort bien de cette situation rangée. Peut-être était-ce toutes ces années passées dans un autre pays qui avaient déteint sur sa manière de penser, mais Fumiko ne pouvait s’empêcher de ressentir une certaine indignation en voyant Junko se prêter aux caprices dolents de son mari qui se laissait bichonner, délacer ses chaussures et mettre ses sandales, qui réclamait sa nourriture et son thé, qui proclamait ses moindres ukases, tel un roitelet sur son trône »
Ook Chung, « La prison de cristal » in Nouvelles orientales et désorientées, Le Serpent à Plumes, p. 206.« Depuis l’enfance, chacun d’eux [les Japonais] s’est fait rappeler à chaque jour ce qu’il advient aux clous qui dépassent : on leur donne un coup de marteau. La seule façon d’échapper à cette règle, c’est de dépasser tellement, de façon si visible, manifeste, outrancière, qu’on se place hors normes. C’est la voie qu’a suivie Kiyomi Kikuchi et qui, du jour au lendemain, a fait d’elle une vedette. Car, malgré l’importance accordée au maintien de l’harmonie en toutes circonstances, il y a aussi place, dans la mythologie japonaise, pour le héros pur, armé seulement de son sens de la justice, qui se dresse sans peur contre les forces en place pour rétablir le droit. »
Catherine Bergman, L’Empire désorienté, Art Global/Flammarion Québec, p. 27.
1. Louise Cotnoir, La déconvenue, L’instant même, Québec, 1993, 105 p. ; 14,95 $.
2. Francine Allard, Les mains si blanches de Pye Chang, Triptyque, Montréal, 2000, 156 p. ; 18 $.
3. Nicole Balvay-Haillot, L’enfant du Mékong, Vents d’Ouest, Hull, 2000, 156 p. ; 17, $.
4. Jean-François Somain, Le chien de Shibuya, Vermillon, Ottawa, 2000, 142 p. ; 14 $.
5. Marie-Josée L’Hérault, Taïko, Lanctôt/Danielle Shelton, Montréal, 2000, 127 p. ; 15,95$.
6. Michel Régnier, L’oreille gauche, Pierre Tisseyre, Montréal, 2000, 294 p. ; 24,95 $.
7. Aki Shimazaki, Hamaguri, Leméac, Montréal/Actes Sud, Arles, 2000, 109 p ; 17,95 $.
8. Lisa Carducci, Correspondance de Beijing, XYZ, Montréal, 2000, 264 p. ; 16,95 $.
9. Roger Clavet, La Chine de ma vie, Un peureux dans l’Empire du milieu, Stanké, Montréal, 2001, 247 p. ; 19,95 $.
10. Catherine Bergman, L’empire désorienté, Art Global/Flammarion Québec, Montréal, 2001, 310 p. ; 24,95 $.
11. Pierre Gobeil, Cent jours sur le Mékong, L’Hexagone, Montréal, 1995, 162 p. ; 18,95$.
12. Louise Blanchard et André Dalcourt, Sabbatique asiatique, Tome I et II, Lanctôt, Montréal, 1999 et 2000, 250 p. et 277 p. ; 22,95 $ chacun.
13. André Duhaime (sous la dir. de), Haïku et francophonie canadienne, David, Orléans, 2000, 106 p. ; 10 $.
14. Carol Lebel et Yunjeung Yang, Des mondes nous échappent, Le Loup de Gouttière, Québec, 2000, 68 p. ; 9,95 $.