De façon étonnamment rapide, la littérature offerte aux jeunes intègre à ses propositions classiques et prévisibles ce qui provoque et alimente les débats publics. Ainsi, la fantaisie, la magie, l’observation des bêtes et des oiseaux continuent à inspirer des dizaines d’albums et de récits, mais la littérature jeunesse s’intéresse aussi, à sa manière et généralement avec bonheur, à des thèmes aussi délicats que l’homosexualité.
À distance du prosaïque
Quand un violon choisit lui-même son répertoire, il y a problème et même un jeune prodige de l’instrument ne sait à quel saint se vouer. Dans Le violon dingue1, Gilles Côtes (illustrations : Fil et Julie) guide finement le propriétaire du violon ensorcelé de consultation en examen, jusqu’à ce que, enfin, l’interprète sache, et nous avec lui, d’où vient l’indiscipline de l’instrument. Rien de lourd dans la leçon que reçoivent non seulement le jeune virtuose, mais aussi ceux qui ne s’étaient pas interrogés sur les aspirations profondes de l’enfant. Les clins d’œil aux figures connues de la musique québécoise feront sourire les adultes, sans pourtant que le jeune lecteur se sente ignoré.En quelques pages à peine, Denis Côté crée une atmosphère de mystère et de tension dans La forêt aux mille et un périls2 (illustrations : Stéphane Poulin). Cela ne saurait surprendre, tant l’auteur a souvent réussi l’exploit. […] De l’innocente et moderne promenade en vélo, le jeune Maxime passe ainsi à d’autres temps, à d’autres logiques aussi. Entrent en scène le chevalier à la triste figure et les joyeux compagnons de la forêt de Sherwood. Maxime met quelque temps à se situer et à adapter son vocabulaire à ses nouveaux interlocuteurs, mais peut-être a-t-il consenti ces efforts pour rien. Si, en effet, le chevalier de Cervantès lui parle avec sympathie, le Robin qui se manifeste ressemble peu à celui que connaissent tous les enfants. À peine l’inquiétant changement s’est-il manifesté que le récit de Denis Côté tourne court. Une question est posée, qui ne reçoit aucune réponse. Il faut en déduire que l’auteur ouvre un nouveau cycle et que les jeunes lecteurs devront patienter jusqu’au prochain épisode. Peut-être aurait-on pu leur en donner un peu plus à se mettre sous la dent. Avec Joëlle et le grand brun3 de Diane Noiseux et Denise Paquette, on entre de plain pied dans le vaste monde des relations entre les générations. Avec, en prime, du bel inexpliqué. Joëlle, en effet, n’est plus seule à rédiger son journal intime. Rien de menaçant, mais un appel de l’au-delà, d’un grand-père aimé et décédé. Joëlle accepte le mandat émis d’aussi loin et effectue la démarche souhaitée. Pendant longtemps, elle ne saura pourtant pas quelles retombées son intervention a provoquées. Une écriture fluide, efficacement porteuse d’émotion, se met au service d’affections que la mort ne saurait amoindrir. Dans L’île Blanche4 de Rollande Saint-Onge et de Fil et Julie, les adultes auront beau servir toutes les mises en garde aux jeunes aventuriers, la mer et ses mystères auront toujours le dessus. Puisqu’une rumeur persiste au sujet de l’île Blanche, il faudra que Kostas et François en aient le cœur net. Difficile de dire si l’île existe vraiment, mais il est patent qu’elle dépayse quiconque l’approche et que son enseignement laisse songeurs les jeunes qui sont attirés par ce qui dépasse les dimensions familières. Le récit est prenant, structuré, d’autant plus déroutant qu’il recourt à une rédaction sans faille. On souhaiterait, tant les jeunes lecteurs frétillent souvent d’impatience, que les présentations et autres hommages viennent après le récit et non avant.Assister, en plein campus universitaire, à une escrime digne des époques féodales et à la mort du vaincu, c’est déjà étrange. Ne pas pouvoir, au réveil, offrir la moindre preuve de ce qu’on relate, c’est ajouter le ridicule au cauchemar. Et si d’autres affrontements suivent le même rituel et débouchent eux aussi sur des cadavres qui ne portent aucune blessure imputable à une épée, la raison vacille. La police, peu portée sur les explications ésotériques, cherche du côté d’une drogue dénommée « mystique ». La jeune narratrice ne saurait se satisfaire d’une explication qui évacuerait totalement le surnaturel. Mystique5 de Mylène Gilbert-Dumas se referme sur une inquiétude. Un récit dense et qui bouscule les certitudes avec agilité.
1. Gilles Côtes et Fils et Julie, Le violon dingue, De la paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2003, 144 p. ; 8,95 $.
2. Denis Côté et Stéphane Poulin, La forêt aux mille et un périls, La courte échelle, Montréal, 2003, 91 p. ; 8,95 $.
3. Diane Noiseux et Denise Paquette, Joëlle et le grand brun, Bouton d’or Acadie, Moncton, 2003, 91 p. ; 9,95 $.
4. Rollande Saint-Onge et Fil et Julie, L’île Blanche, De la Paix, Saint-Alphonse-de-Granby, 2003, 144 p. ; 8,95 $.
5. Mylène Gilbert-Dumas, Mystique, La courte échelle, Montréal, 2003, 190 p. ; 10,95 $.
Le don de prophétie est souvent désiré. Pourtant, celui qui, doué d’une prescience qui le dépasse, voit venir les catastrophes sans pouvoir les empêcher préférerait sans doute ne percevoir que l’immédiat. La situation s’aggrave lorsque des intérêts mal définis cherchent à recruter de tels « sensitifs ». Arraché à sa famille qui le croit mort, Marc Dype se sentit vite en désaccord avec ceux qui l’exploitent. Réfugié à Durango (Gilles Fontaine et Jean-Philippe Chabot), il n’échappe cependant pas à son aptitude à prédire les caprices du hasard. Les morts qu’il annonce se produisent et attisent la méfiance. Son fils Étienne se met à sa recherche, mais il risque gros : il possède le même don que son père et il s’expose au même embrigadement. Récit alerte qui dépeint à merveille le petit monde de Durango et éveille aux mystères du cerveau humain.
Gilles Fontaine et Jean-Philippe Chabot, Durango, Nathan, Paris, 2003, 192 p. ; 10,95 $.
Chaque ethnie selon ses traditions, Éclatants, Rebelles et Fkions sont des chasseurs d’éternité. Ils ne s’aiment pas, mais ils consentent, quand besoin est, à partager la même traque. Leurs attentes diffèrent en apparence, de même que leurs armes, mais tous cherchent l’oulalouk, créature dont on sait tout au plus qu’il valorisera celui qui saura l’approcher. Jacques Lazure sait que la quête importe plus que la possession et, avec son immense talent, il raconte en conséquence dans Les chasseurs d’éternité. Il en résulte un magnifique et prenant récit qui dispense le lecteur des habituels dérapages vers une étrangeté de pacotille. Beaucoup d’action, mais surtout une pensée.
Jacques Lazure, Les chasseurs d’éternité, Soulières, Saint-Lambert, 2003, 247 p. ; 9,95 $.
Regards différents
Simples et comme poncés par le temps, les contes de Mamadou Diallo et Vance Caines, réunis sous le titre Mariama et autres contes d’Afrique de l’Ouest, n’attendent que l’intervention chaleureuse de l’adulte pour pénétrer l’imaginaire de l’enfant. Imaginaire différent, certes, car barboter dans le fleuve avec l’hippopotame ne fait pas partie des jeux familiers, pas plus qu’il n’est courant de s’intéresser à la hyène qui rêve de devenir herbivore. Mais imaginaire vite décodé, car les enfants savent que l’amour n’a que faire des différences. Sans enfermer l’éventuel narrateur dans un moule unique, l’éditeur a quand même demandé à la typographie de collaborer avec la lecture. L’enfant rattachera rapidement la taille du caractère à l’intention du conteur. Beau et pédagogiquement intelligent.
Mamadou Diallo et Vance Caines, Mariama et autres contes d’Afrique de l’Ouest, Syros, Paris, 2003, 127 p. ; 18,95 $.
Le destin de My d’Indiana Rose et Leanne Franson transmet en douceur quelque chose de la sagesse bouddhique. Comme beaucoup d’humains, My désire ce qu’elle n’a pas. Tailleuse de pierre, elle souhaiterait devenir riche. L’étant devenue en un clin d’œil, elle envie la célébrité des actrices. De désir en désir, elle bouclera la boucle et apprendra à se satisfaire de son existence. Belle façon de familiariser avec le bouddhisme et avec sa roue pacifiante.
Indiana Rose et Leanne Franson, Le destin de My, Dansereau, Montréal, 2003, 32 p. ; 7,95 $.
Le conte que présente Arnaud Nicolaï, intitulé La reine Algana, charme par ses illustrations et sa version sonore plus que par son originalité. Ce n’est pas d’hier, en effet, que les habitants des mers et ceux du ciel souhaitent se connaître de plus près et que les marins s’amourachent des inaccessibles sirènes. Un effort aurait peut-être étoffé l’histoire et hissé le récit à la hauteur du dessin.
Arnaud Nicolaï, La reine Algana, Point de fuite, Montréal, 2003, avec CD, 24 p. ; 19,95 $
Comment accueillir l’album que signent Madonna et Jeffrey Fulrimari, et dont les vedettes sont de jeunes et roses Anglaises ? Je ne sais. Dessin élégant, têtes et vêtements inspirés du style de l’effervescente vedette, histoire moralisatrice où une Cendrillon moderne est enfin acceptée par un quatuor de snobinettes repenties, tout cela laisse songeur. Et ambivalent. Que Les roses anglaises plaise à une préadolescence à la recherche du vêtement le plus fluo, nul n’en doutera. Nul ne doutera non plus que cette proposition s’intègre à une mise en marché équivoque et racoleuse.
Madonna et Jeffrey Fulrimari, Les roses anglaises, trad. de l’anglais par Jean-François Ménard, Scholastic, Markham, 2003, 48 p. ; 27,95 $.
Avec Pan Bouyoucas aux commandes du texte et Stéphane Jorisch à celles des illustrations, Thésée et le Minotaure ne pouvait être qu’une merveille. Le texte, alerte et pourtant lourd de cent légendes, ressuscite une Grèce « qui n’eut pas les dieux qu’elle méritait ». C’est un dieu vengeur qui fait naître le Minotaure et enclenche l’immolation annuelle de jeunes gens. Et ce sont des humains, Thésée et Ariane, qui brisent le rituel. Aucun des deux n’en sera récompensé. Les illustrations pleine page de Stéphane Jorisch stylisent le récit et lui restituent une puissance digne de la mythologie.
Pan Bouyoucas et Stéphane Jorisch, Thésée et le Minotaure, Les 400 coups, Montréal, 2003, 48 p.
Et sur terre ?
La guerre des lumières fait la démonstration, avec humour et profondeur, que Noël, censément fête de la paix, occasionne parfois des affrontements d’une totale intransigeance. Il suffit pour cela que les citoyens d’une rue s’acharnent à remporter le concours des plus flamboyantes décorations de Noël et qu’un nouveau citoyen refuse de participer au déploiement industriel des lumières. Le bras de fer rappelle l’énigme philosophique du combat entre la force invincible et la résistance inamovible : aucune victoire n’est possible. Louis Émond mène son récit tambour battant. On rigolerait à chaque nouvelle astuce si l’on ne sentait pas que, derrière des entêtements infinis, des valeurs sont en cause. Une ingénieuse mécanique et une écriture très professionnelle.
Louis Émond, La guerre des lumières, Soulières, Saint-Lambert, 2003, 132 p. ; 8,95 $.
Peu d’enfants sauraient dire à quoi ressemble le brigadier scolaire qui, deux ou quatre fois par jour, assure leur sécurité aux carrefours dangereux. Beau sujet, par conséquent, que saisit Jocelyn Boisvert dans La mauvaise fortune du brigadier : apprendre à voir ceux dont la vocation consiste, discrètement, à se dévouer. Cela virerait peut-être au mauvais mélo si le brigadier ne subissait pas une grave agression et si des enfants ne menaient pas enquête. La rencontre du malheur de l’un et de l’initiative des autres donne un roman émouvant et une enquête policière très défendable.
Jocelyn Boisvert, La mauvaise fortune du brigadier, Vents d’Ouest, Gatineau, 2003, 190 p. ; 10,95 $.
Le thème du jugement téméraire intervient, une fois de plus, pour inciter les jeunes à freiner leurs verdicts. Joey, certes, sourit peu, il a même L’air bête, mais est-il pour autant méprisant ? Zoé en doutera quand elle croisera Joey à l’hôpital où elle se rend elle-même rencontrer les enfants que soigne sa mère médecin. De son côté, Joey fera un cheminement analogue et belle sera la rencontre entre les deux jeunes. L’écriture inspirée de Josée Pelletier traverse ce beau récit dont on ne sait ce qu’il faut admirer le plus, de la réflexion sur la mort scandaleuse des enfants ou de la discrète générosité des adolescents tournés vers autrui. Admirable premier roman.
Josée Pelletier, L’air bête, Vents d’Ouest, Gatineau, 2003, 133 p. ; 9,95 $.
J’ai déjà dit mon admiration pour le travail de « jardinier des talents » qu’accomplit Michel Lavoie. L’amour s’inscrit d’emblée dans cet encouragement à l’écriture et de généreuse préparation de la relève. De saison en saison, en plus de poursuivre son œuvre de romancier, Michel Lavoie fait naître les textes et décuple le goût d’écrire par la publication des meilleures réussites. Le présent recueil démontre plusieurs choses : que Michel Lavoie ne se trompe pas en croyant au talent des jeunes, que le thème de l’amour inspire aux jeunes des textes originaux et souvent d’excellente venue et que, rappelons-le, tragiquement rares sont les garçons qui osent l’expression littéraire. On remarquera aussi, ce qui aurait été impensable il y a peu de temps, que l’amour entre gens du même sexe fait surface ici comme ailleurs dans la société.
Sous la dir. de Michel Lavoie, L’amour, Vents d’Ouest, Gatineau, 2003, 139 p.
Un piano n’est pas seulement un instrument de musique. Au creux d’une famille décimée et bousculée, peut-être incarne-t-il l’espoir, l’oxygène, la renaissance. Pas étonnant, dès lors, que Charlotte Gingras, à l’écriture aussi fine qu’évocatrice, fasse de celui-ci La boîte à bonheur (illustrations : Stéphane Jorisch). Si le déménagement vers plus petit oblige la mère de Clara à se défaire de l’instrument, non seulement la musique, mais aussi le bonheur désertera. Clara, d’ailleurs, l’a compris, malgré le silence et l’éloignement de son père, les mesquineries de ses sœurs plus vieilles et de leurs maris à moustache : le bonheur ne reviendra que si le piano trop tôt liquidé est retracé et vibre de nouveau sous les doigts de la mère. L’enquête sera efficace parce que placée sous le signe de la tendresse. Une des merveilleuses confidences dont Charlotte Gingras a le secret.
Charlotte Gingras et Stéphane Jorisch, La boîte à bonheur, La courte échelle, Montréal, 2003, 64 p. ; 8,95 $.
Amis de plumes et de poil
Pas de survol si humble soit-il des bouquins destinés aux enfants qui ne comprenne quelques rencontres avec le règne animal.
Petit livre d’une grande beauté, Minou à Prague raconte, du point de vue d’un chat curieux, la vie dans une ville où l’auteure, Tecia Werbowski, passe une bonne partie de son temps. L’enfant suivra aisément le chat et partagera sans doute ses opinions sur les adultes, les transports en commun et, bien sûr, la bouffe. Il s’étonnera peut-être qu’on lui explique le climat canadien. Le texte, on peut le soupçonner, a été conçu pour un public tchèque et traduit tel quel. Léger déphasage qui n’enlève rien à la piquante fantaisie des illustrations de Boris Pralovsky et au style de l’édition.
Tecia Werbowski et Boris Pralovsky, Minou à Prague, trad. par Jana Boxberger, Du Lilas, Vallée-Jonction, 2003, 55 p. ; 19,75 $.
Le raton laveur ne cessera jamais de fasciner les enfants et, avouons-le, les adultes. Le masque de l’animal lui confère le charme d’un sympathique gavroche et la dextérité avec laquelle il manie et lave sa nourriture lui donne une allure presque humaine. S’il faut en croire Marie-Élaine Mineau dans La foire aux bêtises (illustrations : Gérard Frischeteau), le raton laveur peut, en plus, devenir en vieillissant un incontrôlable raconteur. Comme Muso est un jeune raton laveur bien élevé, il ne parviendra pas à endiguer le flot des aventures que le vieil Igor tient à raconter. Et cela vaudra à l’enfant une belle brochette de récits farfelus.
Marie-Élaine Mineau et Gérard Frischeteau, La foire aux bêtises, Pierre Tisseyre, Montréal, 2003, 72 p. ; 7,95 $.
Les animaux qui peuplent Le popotin de l’hippopo de Didier Lévy et Marc Boutavant ne s’attendaient pas à ce que l’hippopotame se plaigne du volume de son arrière-train. Les petits animaux seraient tombés d’accord, mais les costauds comme l’éléphant ou le rhinocéros jugeaient ce derrière tout à fait acceptable. La discussion dégénéra en bataille, puis chacun, sagement, se rendit à son petit pot. On comprit alors que chaque dimension convient, pourvu que chacun trouve un pot à sa convenance.
Didier Lévy et Marc Boutavant, Le popotin de l’hippopo, Albin Michel, Paris, 40 p. ; 19,95 $.
L’histoire d’Antoine, Plumeau et Barbouille est belle et l’auteure, Claudine Paquet, en garantit l’authenticité. Probablement blessé par une automobile, un petit duc, jeune membre de la famille des hiboux, est rescapé par Antoine qui s’insurge à l’idée qu’on mette fin aux souffrances de l’oiseau. Les adultes, déroutés et réticents, finissent par consentir à l’adoption. Convalescence ardue, mais Antoine est patient et il apprendra à décoder les besoins du hibou. Bien sûr, le chat Barbouille n’apprécie guère qu’on l’éloigne au bénéfice d’un vulgaire emplumé, mais Antoine, Barbouille et Plumeau finissent par constituer un trio d’amis. Seuls refuseront de croire à ce sympathique récit les très rares parents qui n’ont jamais eu à adopter le petit animal ardemment défendu par leur descendance. D’ailleurs, comment douter puisqu’Antoine lui-même a dessiné Plumeau ?
Claudine Paquet, Antoine, Plumeau et Barbouille, Le Loup de Gouttière, Québec, 2003, 84 p. ; 7,95 $.
Un phénomène aussi familier que le mouvement des bêtes cache pourtant bien des surprises. Le dernier album de Niki Walker et de Bobbie Kalman, Les animaux en mouvement, en témoigne éloquemment. Qu’il s’agisse des rampants ou des oiseaux, des planeurs ou des grimpeurs, l’ingéniosité la plus étonnante est mise à contribution. Les pingouins, qui ne volent pas, battent des ailes pour nager sous l’eau. Le basilic marche carrément sur l’eau, avec l’assurance d’un faiseur de miracles. Et le manga noir, sans quitter le sol, rampe au rythme de dix kilomètres à l’heure avec des pointes atteignant deux fois cette vitesse. D’aussi éloquentes photographies que d’habitude et une meilleure classification des modes de locomotion.
Niki Walker et Bobbie Kalman, Les animaux en mouvement, Banjo, Mont-Royal, 2003, 32 p. ; 8,95 $.
Je ne suis pas certain que la lecture de Les corneilles d’Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar rende plus séduisant le croassement de l’oiseau. En revanche, les renseignements fournis à son sujet embelliront l’aura de l’espèce. Déjà réputée prudente, la corneille se révèle, en effet, aussi apte à jouer la sentinelle au profit de ses semblables qu’à dépasser le stade des dix ans. L’humour de Sampar décrit (?) le partage des tâches à l’intérieur du couple et quels services rend la corneille à titre de nécrophage. Une collection toujours instructive et souriante.
Alain M. Bergeron, Michel Quintin et Sampar, Les corneilles, Michel Quintin, Montréal, 64 p. ; 7,95 $.
Mémoire et exploration
Deux albums de bonne tenue éclairent l’univers dans lequel s’insèrent les jeunes générations. À partir de photographies souvent géniales et toujours révélatrices, André Leblanc raconte, en la stylisant, l’aventure vécue par les milliers d’immigrants débarqués en terre canadienne au début du XXe siècle dans Arrivés à bon port. Les visages, presque toujours figés par l’insécurité, sérieux jusqu’à l’angoisse, fixent le photographe comme pour lui demander conseil. Les enfants, nombreux comme s’ils étaient nés au Québec, entourent des parents qui en auraient long à dire sur les pogroms de leur pays d’origine ou sur la pauvreté de certains sols européens. Avec délicatesse, André Leblanc invente une histoire qui, comme un discret fil conducteur, ose dire ce que cachent de souffrance et d’espoir ces visages encore inquiets. Magnifique et émouvant.
André Leblanc, Arrivés à bon port, Les 400 coups, Montréal, 2003, 40 p. ; 10,95 $.
La course à l’hydrogène de Réal Godbout et Benoît Gauthier recourt à la bande dessinée et à l’information scientifique pour interroger l’avenir sur les risques que la pollution fait courir à la planète. L’enjeu est rendu net et pressant par une dramatisation percutante et presque caricaturale. Intervient ensuite, pour le dernier tiers de l’album, un exposé plus mesuré, mais non moins inquiétant. Oui, la planète est en péril et la recherche doit s’intensifier vers des formes d’énergie moins porteuses de gaz à effet de serre. La convergence des deux démarches – sensibilisation par la bande dessinée et dossier factuel sur l’ampleur du problème – rend l’information accessible à de vastes publics et donne un contour précis au protocole de Kyoto.
Réal Godbout et Benoît Gauthier, La course à l’hydrogène, Soulières, Saint-Lambert, 2003, 48 p. ; 14,95 $.
Humour et poésie
Dans La foire aux bisous, Le scénariste et dessinateur Paul Roux a sa façon bien à lui de démystifier la Saint-Valentin. Son Ernest déteste les embrassades dont il perçoit surtout les aspects obligatoires et déplaisants : rouge à lèvres partout sur le visage, haleines pestilentielles, propagation des microbes, etc. Il fuit donc comme un SRAS tout ce qui, au matin de la Saint-Valentin, ressemble à un piège à bisous… Il ignorait qu’il y a bisous et bisous et que certains bisous… Léger, souriant, moqueur.
Paul Roux, La foire aux bisous, Banjo, Mont-Royal, 2003, 24 p. ; 7,95 $.
Beau pari, trop peu souvent tenu, que celui de présenter des poèmes aux enfants. Pourtant, il y a sûrement moyen de prolonger le plaisir vécu grâce aux comptines de la petite enfance. Finement, simplement, élégamment, Édith Bourget et Geneviève Côté en font la démonstration dans Autour de Gabrielle. Même le format des textes – une seule page dans la plupart des cas – tient compte de la capacité d’accueil. La vie quotidienne occupe beaucoup d’espace, depuis la maison qui « sent bon le bonbon » jusqu’aux parents qui s’agitent tellement qu’ils semblent avoir « des roulettes sous les pieds et des plumes au bout des doigts ». L’heure n’est pas (encore) aux états d’âme, mais à la fraîcheur, au sourire, à l’affection.
Édith Bourget et Geneviève Côté, Autour de Gabrielle, Soulières, Saint-Lambert, 2003, 70 p. ; 7,95 $.
La lune a inspiré à Gilles Tibo trente courts poèmes auxquels cinq excellents illustrateurs ont aussitôt donné vie, couleurs, incarnation. Dans Autour de la lune, le satellite en profite pour dévoiler quelques-uns de ses secrets. Il lui arrive de ressembler à un croissant appétissant, de faire appel au médecin, de choir dans un jardin ou de laisser sa soif provoquer les marées. Véritable phénomène d’inépuisable imagination, Gilles Tibo est généreux à l’extrême : il aurait pu tirer un livre de chacun de ces poèmes. Il les écrira probablement quand même.
Gilles Tibo, Stéphane Jorisch, Marie Lafrance, Mireille Levert, Luc Melanson et Stéphane Poulin, Autour de la lune, 30 contes pour mieux rêver, Dominique et compagnie, Saint-Lambert, 2003, 32 p. ; 24,95 $.
À proximité des enfants
Nombre de livres et d’album tournent autour de l’enfance sans viser uniquement leur plaisir. C’est le cas, par exemple, de Risette et rigolade de Céline Côté et Nadia Berghella, fantaisie à saveur pédagogique sur, on l’aura deviné, la lettre R. Les autres titres de la même série mettent en vedette tous les éléments de l’alphabet. Le dessin est séduisant, les couleurs stimulantes, le texte accessible. Le livre et l’enfant minimalement alphabétisé pourront se satisfaire l’un de l’autre, mais la contribution d’un adulte, parent ou enseignant, semble requise. On est plus près de l’instrument pédagogique que du simple plaisir de lire, mais on aura raison de me rappeler qu’il n’est pas obligatoire qu’un manuel soit rébarbatif.
Céline Côté et Nadia Berghella, Risette et rigolade, Académie Impact, Lac-Beauport, 2003, 32 p. ; 8,95 $.
La plupart des gags présentés dans L’ours Barnabé, Ça baigne de Philippe Coudray feront sourire jeunes et adultes sans distinction. Le niveau de langage et de culture exigé n’est pourtant pas uniforme, d’où le risque d’éclipses dans l’intérêt des jeunes auditoires. Je doute, par exemple, que la taquinerie à l’endroit des « installations » que l’art contemporain offre dans les musées intéresse beaucoup. Quelques années plus tard, ce sera différent.
Philippe Coudray, L’ours Barnabé, Ça baigne, Mango, Paris, 2003, 46 p. ; 15,95 $.
Mots d’enfants de Jean-Claude Huriaux témoigne de l’inépuisable aptitude de l’enfance à renouveler la perception de toutes choses. Le printemps, dit une enfant, « c’est quand la neige fond et repousse en gazon ». Et on s’émerveille, à juste titre d’ailleurs. Le plaisir de lire ou d’entendre ces ineffables réinventions appartient cependant aux adultes plus qu’aux enfants. Eux, en effet, apprécieront l’expression comme une description simplement adéquate et nous aurons, nous, les adultes, la désagréable impression de sourire au dessus de leur tête. Excellente cueillette, mais destinée à un auditoire plus âgé.
Jean-Claude Huriaux, Mots d’enfants, Les Intouchables, Montréal, 2003, 111 p. ; 9,95 $.
Choix éminemment arbitraire à même un arrivage de quelque 80 titres et de toutes provenances.