Ernestine Chassebœuf nous avait offert, avec La brouette et les deux orphelines, un premier recueil de lettres à des écrivains qui constituait le pamphlet le plus pertinent contre l’instauration du prêt payant dans les bibliothèques de France.
La vieille dame angevine, dont une plaisante biographie figure à la fin de l’ouvrage, récidive en écrivant « dans tous les sens », à tous les responsables de ce qui ne va pas dans sa vie quotidienne comme dans la nôtre : maire, député, journaliste, publicitaire… Tout la fait agir.
Ainsi, à l’occasion d’une campagne de promotion du prélèvement automatique pour le denier du culte, elle assène à l’évêque d’Angers quelques vérités sur la responsabilité des religions dans les conflits passés ou actuels. Une journée « porte ouverte » dans une caserne ou des manœuvres dans sa région lui fournissent l’occasion de s’adresser directement aux autorités militaires pour tourner en dérision leurs efforts pour offrir une image positive et ludique. Au service consommateur de Coca Cola, elle vante l’efficacité décapante du produit qu’elle ne boit pas, parce que « rien qu’à l’odeur, ça purge ». Désirant une recette de biscuits, elle s’adresse « par erreur » à la maison d’édition Belin plutôt qu’à la biscuiterie. Ou encore, elle reproche au romancier Jean-Bernard Pouy d’avoir écrit un livre intitulé La belle de Fontenay dans lequel elle a vainement cherché quelques renseignements sur la culture de la pomme de terre du même nom.
Le regroupement chronologique permet de suivre la progression des aventures de la vieille dame et de sa Mini-Comtesse, voiture sans permis, comme dans un roman. C’est là un tour de force car les lettres ont été réellement envoyées. Quelques-unes ont reçu une réponse, parfois humoristique. Ernestine finit même par obtenir gratuitement d’une fromagerie la « superbe carafe » qu’elle convoitait bien qu’elle n’ait pas fourni les preuves d’achats parce que, écrit-elle, « je n’ai pas l’intention de racheter votre fromage, je l’ai pas trouvé fameux ».
Ernestine se montre modeste. Si, dans l’entretien, elle accepte de se considérer comme une femme de lettres, « c’est à cause du facteur », pas pour se comparer à George Sand ou à Madame de Sévigné. Mais elle fait preuve d’une impressionnante virtuosité comme en témoigne les poèmes composés à partir de rimes fournies par ses correspondants.
Le succès rencontré par ce livre, qui ne ressemble à aucun autre, est tout à fait justifié. Un critique évoque un « un chef-d’œuvre d’humour courrier », un autre lui a trouvé « la roublardise d’un Sveik du terroir ». Le très intellectuel magazine français Télérama lui a consacré deux pages !
La couverture indique « volume 1 ». Il devrait donc y avoir une suite, pour notre plus grand plaisir car c’est, de bout en bout, un véritable régal, illustré avec talent par Quentin Faucompré.