La délicatesse de la couverture, une reproduction d’une fleur de l’Herbarium d’Emily Dickinson conservé à l’Université Harvard, annonce bien la fine dentelle qui qualifie l’écriture de cette vraie et fausse biographie de la mythique poétesse du XIXesiècle.
Dans Les villes de papier, Dominique Fortier explore les mondes qu’elle a elle-même déjà habités et habite encore, comme ceux qui ont vu grandir puis mourir « la dame en blanc ». Si l’auteure a séjourné autant à Montréal, Ottawa et Boston qu’à Scarborough ou Cape Elizabeth – avec « sa plage de sable si blanc qu’il en semblait presque lunaire » –, Emily Dickinson, quant à elle, n’a guère bougé d’Amherst, son lieu de naissance dans le Massachusetts. À travers ces deux récits en parallèle perce le vibrant contraste entre les écrivaines, que l’habileté de l’auteure Fortier met encore plus en lumière. « Emily des champs n’est jamais allée à la mer. Cette étendue mouvante et bleue l’effraie. »
Le monde de la célibataire américaine (1830-1886) est fait de fleurs et de livres, de solitude aussi. « Comme ses plantes, elle aussi a passé l’hiver entre les pages d’un livre. » Elle était très jeune quand sa famille bourgeoise l’avait initiée au plaisir de la cueillette des fleurs et à l’étonnement de leur conservation temporaire dans un volume de l’encyclopédie Britannica. « ‘Après quelques mois, les pages auront absorbé l’humidité de la plante, et vous pourrez la coller dans votre herbier’. Emily s’émerveille en silence de cela : les livres s’abreuvent à l’eau des fleurs. »
Le monde d’Emily réside dans les livres, soutient Dominique Fortier. « Chaque livre en contient cent. Ce sont des portes qui s’ouvrent et ne se referment jamais. Emily vit au milieu de cent mille courants d’air. Toujours il lui faut une petite laine. »La poétesse sera pourtant heureuse dans la vie d’ermite effacé qu’elle se sera choisie. « Elle a besoin de si peu de choses qu’elle pourrait aussi bien être morte – ou n’avoir jamais existé. […] Elle n’est pas cachée, elle n’est pas recluse. Elle est au cœur des choses, au plus profond d’elle-même, recueillie. »
Dominique Fortier est une chercheuse consciencieuse et une romancière adroite ; elle sait enrichir ce qu’elle a déjà recueilli comme informations sur son personnage, considéré comme un des plus importants écrivains de son époque. L’auteure québécoise partage sa réflexion et son émotion. « Les rayons d’or déferlent en coulées de miel par la fenêtre. La lumière d’après-midi est si épaisse qu’Emily a l’impression d’être une abeille prise dans de l’ambre. »
Les villes de papier est le sixième livre de Fortier, dont lepremier roman, Du bon usage des étoiles, a reçu le prix Gens de mer du festival Étonnants Voyageurs en 2008 et le quatrième, Au péril de la mer, le Prix du Gouverneur général en 2016.
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