L’écrivain d’origine marocaine s’en est expliqué lors de la sortie de son livre : il a vécu, et très mal vécu, les événements à l’origine de ce récit. Cinquante ans après sa mésaventure, Tahar Ben Jelloun parvient aujourd’hui à raconter avec sérénité ce qui lui est arrivé avant de quitter le Maroc pour s’établir en France.
Les faits remontent aux années 1960, dans un Maroc gouverné d’une main de fer par le roi Hassan II. « C’est l’époque où des jeunes gens disparaissent, où l’on vit dans la peur, où l’on parle à voix basse en soupçonnant les murs de retenir les phrases prononcées contre le régime. » Ben Jelloun n’a pas encore vingt ans. Il participe à une manifestation étudiante qui sera réprimée dans le sang, malgré ses visées pacifiques. Pire, il participe à une réunion de l’Union nationale des étudiants du Maroc. Avec 93 autres, coupables comme lui d’avoir offensé la royauté, il devra recevoir une punition.
Comme ses compagnons d’infortune, Ben Jelloun est convoqué au camp militaire d’El Hajeb. Aucune raison n’est fournie, personne parmi les appelés ne sait ce qui l’attend, mais il serait trop risqué de faire faux bond. Sous le couvert d’un service militaire soudainement requis pour défendre la patrie, les jeunes hommes seront en réalité retenus prisonniers pendant dix-neuf mois. Les officiers chargés de la détention profitent de la situation pour assouvir leur soif de violence. Les prisonniers sont humiliés, mal nourris, soumis à des conditions de vie exécrables et à des manœuvres aussi inutiles qu’épuisantes, mettant leur vie en danger à maintes reprises.
Le récit est mené avec sobriété et minutie. On sent à travers les descriptions au jour le jour la tension extrême entretenue chez les punis par le comportement barbare et imprévisible des gardiens. Les jeunes hommes ne sont pas tous également accablés par leur détention. Les politiques, membres de partis de gauche ou leaders étudiants, semblent en tirer une certaine fierté. D’autres ont l’air de s’habituer, sinon de prendre goût, au régime militaire. À l’inverse, l’un d’entre eux craque sous la pression et sera renvoyé dans sa famille, après avoir complètement perdu la raison. Un compagnon de chambrée, un berger, à qui Ben Jelloun emprunte occasionnellement une petite radio transistor écoutée à la dérobée, avoue que le camp, malgré la rudesse des geôliers, offre plus de confort que sa bergerie. Réunis contre leur gré, les punis ne créent pas de liens durables. Leur sort commun entretient une solidarité forcée, mais sans lendemain. « Se revoir ? Pourquoi ? Pour se rappeler les longues journées de tristesse, de fatigue et de malheur ? »
Submergé par un environnement hostile, le futur écrivain prend conscience de sa différence. Il souffre autant de la misère intellectuelle régnant chez les geôliers que des vexations physiques subies au quotidien. Il n’a de disposition ni pour obéir aveuglément, ni pour donner des ordres. Il a l’impression de mourir à petit feu. L’idée du suicide lui traverse l’esprit. Pourtant, une fibre en lui résiste. Enfin, après plus d’un an et demi, les prisonniers sont libérés, au compte-gouttes. Ben Jelloun est relâché sur prescription médicale, à bout de forces. Il gardera en lui une blessure pour avoir eu à subir de telles représailles, mais n’aura pas cédé au mode d’être brutal des hommes de main du roi. « [J]e suis sorti comme j’étais entré, plein d’illusions et de tendresse pour l’humanité. »
Tahar Ben Jelloun a beaucoup contribué par ses écrits à mieux faire connaître et apprécier le monde arabe et la civilisation de l’Islam. Il a su aussi dénoncer les excès autoritaires d’un régime marocain dont il dit qu’il serait de nos jours plus tolérant. Avec La punition, il nous aide à comprendre très concrètement comment, lorsque victime de trop d’arbitraire et de répression, on en vient à vouloir quitter le pays qui nous a vu naître, pour renaître ailleurs.
LA PUNITION
- Gallimard,
- 2018,
- Paris
152 pages
24,95 $
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