Pierre Morency, observateur discret de la nature et des oiseaux, sage compagnon des hommes et témoin de leur aventure intérieure, écrivait dans Amouraska, son précédent recueil paru en 2008 chez le même éditeur, que la « [p]oésie dans un être se délite parfois / Sans qu’on sache où va le feu qui la fait naître ».
Or voici qu’après un long silence renaissent le feu et la poésie dans Grand fanal, ce livre aux allures de legs où l’écriture se fait la métaphore de l’existence même : « […] on allume la lampe on se penche sur sa table le plaisir arrive la plume court et c’est déjà le temps d’éteindre ».
D’entrée de jeu, Morency convie le lecteur à la rencontre du « vieux Diogène », dont le dénuement et la quête essentialiste – « […] peut-être aussi cherchait-il tout simplement parmi nous un être humain », dit de lui le poète – font écho à la posture et au projet de ce livre, celui de « l’oiseau-poète occupé à dire un monde à même sa vie ». Dans un jeu de transpositions qui lui est propre, Morency établit des rapports entre les êtres et les dimensions fondamentales que sont l’espace et le temps ; d’abord associé au poète, l’oiseau devient aussi la figure à l’aune de laquelle se mesure le temps : « Tout passe avec l’oiseau », rappelle l’auteur.
Parlant de l’eau et de la faune aquatique, il double son propos d’un constat philosophique : « Dans la rivière et dans le nom de la rivière / Passent des poissons aussi fins que des miroirs ». À l’être humain qui fait l’effort de s’accorder à un autre rythme que celui de l’époque effrénée qui est la nôtre, la nature-miroir offre de percevoir une image renouvelée de lui-même, de réfléchir autrement son rapport au monde. Ces vers nous rappellent surtout l’effet transformateur que nous avons sur la nature, donc la responsabilité que nous avons envers elle. Nommer le monde le modifie déjà, et Morency partage avec le lecteur ce vertige qui le prend devant l’infini qu’il contemple : « […] au fond tu doutes, dit-il, du pouvoir de la simple page, vaste comme l’île ».
Si certains textes – récit fantaisiste, dialogue, lettre à un ami disparu – semblent étrangers par la forme ou le propos à ce riche ensemble surtout composé de poèmes en vers ou en prose, c’est que « la ligne droite ne trouve de place que dans les traités de géométrie ».
Écho de l’expérience de toute une vie et des leçons qu’il en a retenues, Grand fanal apparaît à la fois comme le testament littéraire de l’auteur et comme une injonction lancée par lui à ses contemporains de vivre au mieux malgré les craintes et les incertitudes, malgré la mort qui rôde et la fragilité de toute chose. Pierre Morency, à l’instar de Diogène, garde vivants le feu et le verbe, réaffirme que « le poème montre le soleil, / Et prononce le mot arbre quand on lui dit noirceur ».
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