On est souvent agacé, lorsque son patelin est dénigré, par le fait que le mépris provienne d’un « étranger » de la métropole, d’un touriste mondain.
Ce n’est pas seulement un esprit de clan atavique qui engendre cette crispation, c’est aussi une question de crédibilité, voire de légitimité. On reconnaîtra mieux, en revanche, celui qui parle en toute connaissance de cause, comme c’est le cas dans le premier roman de Kevin Lambert, un jeune auteur qui est né et a grandi à Chicoutimi. Ce récit incantatoire ne se limite pas à malmener cette ville du Saguenay, il voudrait, avec une grande férocité, en faire table rase.
Mais qu’est-ce qui appelle cette destruction ? Le jeune Faldistoire, le narrateur, fait entre autres allusion au racisme, un aspect qu’il illustre toutefois vaguement. On trouve aussi une société homophobe et hypocrite, alors que, dans l’ambiance glauque d’un bar de danseuses, les hommes virils refoulent leurs penchants homosexuels, éloignant « les démons de la sodomie », et que dans le sous-sol des grands-parents se déroulent des histoires d’inceste. De manière plus générale, on nous raconte, au fil du récit, comment Chicoutimi tue ses enfants. La plupart des personnages, comme la petite Sylvie déchiquetée par une souffleuse, sont d’ailleurs des revenants. Peut-on en déduire qu’il s’agit d’une ville fantôme ? En fait, « Chicoute » est une sorte de grand écart entre un théâtre tragique fantasmé et un type, plus réaliste, de cité-dortoir : « On trouve de tout à Chicoutimi, tout ce qu’un gars peut avoir de besoin, il peut pas mal trouver ça soit à Place du Royaume, au Walmart ou au gros Canadian Tire, soit au Club Price en montant Talbot vers le parc des Laurentides. On a un beau Rona à côté du Club Price, un gros Club Piscine – dans le plus gros. Sinon il y a Place du Saguenay, mais il reste pas grand-chose là depuis que le Zellers est fermé, à part des coiffeuses ou encore le Laura Secord. Le Zellers a été remplacé par un gros IGA ».
Ce lieu qui incarne la laideur morale et la laideur urbaine inspire à l’auteur un réquisitoire où la haine, lorsqu’elle n’est pas exprimée directement, transpire à travers les détails anodins. En outre, on sent poindre la raillerie à l’évocation de l’école Réjean-Tremblay, dont le nom semble avoir été choisi pour attaquer la culture dominante dans la région. Polémique ou mépris aveugle de tout ce qui vient de sa société d’origine ? Il faut reconnaître que les deux sont parfois difficiles à distinguer… Le fait que ce dégoût se mue en une haine fulgurante dans certains passages remet toutefois cette hésitation en perspective. L’écriture permet de sublimer les pires instincts. Et ne subsiste plus, comme chez Lautréamont, qu’une pulsion de mort.
Cet endroit oppressant et toxique où les infanticides et les morts tragiques se multiplient, prenant souvent la forme de meurtres passifs, rend toute filiation impossible. Faldistoire nous le rappelle avant la revanche des enfants assassinés, cette apocalypse à laquelle même la petite maison blanche ne survit pas : « J’ai appris à voir le monde à partir de toi, Chicoutimi. Je n’ai aucune reconnaissance ».
Voulant en finir avec le roman de fondation, Tu aimeras ce que tu as tué – comme l’indique son titre au futur – prophétise la fin d’un monde étriqué et du conformisme. Paradoxalement, la haine cultivée par le narrateur, qui donne au livre un ton provocateur, évoque une autre tradition ancrée dans la littérature québécoise, une tendance qu’on pourrait associer au « roman de révolte », où se lisent des points de vue juvéniles. Faldistoire, tout en amenant une nouvelle perspective en raison de son homosexualité, est dans la lignée de la Bérénice de Réjean Ducharme. On retrouve ce même discours (avec un ludisme moins appuyé chez Lambert, qui préfère un langage plus cru) imprégné de violence qui donne l’impression, parfois, d’être une caricature sombre du romantisme. Les dernières phrases l’illustrent parfaitement : « Ce que nous portons en nous est trop grand et le monde trop petit. La destruction est notre manière de bâtir ».
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