Abordant des questions sérieuses sur un ton plutôt léger, Normand Baillargeon s’adonne ici à une exploration philosophique sur le thème de l’alimentation.
Comme il s’en explique en introduction, l’essayiste eut l’inspiration de ce livre lors de sa participation à une émission radiophonique à laquelle prenait également part Ricardo Larrivée. Livrer une chronique philosophique en présence d’une icône québécoise de la cuisine devait inciter Baillargeon à faire le lien entre philosophie et alimentation. Il se rappela alors que les références aux aliments et à l’expérience du repas sont fréquentes dans les classiques de la philosophie. Il n’en fallait pas plus pour que prenne forme l’idée d’un ouvrage où le lecteur serait invité à cogiter, en compagnie d’un florilège de grands penseurs, sur l’acte alimentaire, conçu à la fois comme nécessité vitale et phénomène culturel.
De Platon à Sartre, en passant par Rousseau et Kant, Baillargeon retrace les propos de philosophes qu’il apprête dans son essai sous la forme d’un guide pratique, agrémenté d’anecdotes et de mises en scène visant à rendre plus digeste la nature didactique de l’exposé. On assistera par exemple à un banquet fictif réunissant entre autres Kant et Platon, où est présentée une série d’arguments mettant en doute l’expertise des œnologues et leur capacité à nous conseiller des vins objectivement meilleurs. L’auteur nous dira que cuisiner peut être un art et que manger peut être élevé au rang d’expérience esthétique, pour peu que l’on accorde à ces activités ce qu’il faut d’attention et de soin.
Pour éclairer le fait alimentaire, Baillargeon s’appuie sur diverses traditions philosophiques, d’Occident et d’Orient. Ainsi, le stoïcisme, héritage grec et romain, invite à la sérénité des choix alimentaires par la recherche de cohérence. Aucunement contradictoire, l’attitude orientale dite zen, selon laquelle il faut prendre le temps de goûter pleinement au présent, est citée comme favorable au bien-être et à la santé des mangeurs. L’essai n’est pas uniquement tourné vers le passé. On y découvre la pertinence de la philosophie pour mieux appréhender le présent et le futur de l’alimentation, en soutenant par exemple un regard critique sur les régimes amaigrissants, ou encore en mettant en lumière les implications de propositions technologiques comme la cuisine moléculaire.
Sans prendre de position tranchée, l’essayiste laisse transparaître ses affinités et révèle certains de ses choix. Devant l’alternative de manger local ou mondial, il plaide pour un mélange équilibré de « locavorisme » et de « libertarianisme ». Dans un chapitre sur le végétarisme et la cause des droits des animaux, la version des humanistes opposés aux théories à la Peter Singer est à peu près absente. De même, à l’auto-défense individuelle contre la manipulation de la part des grandes chaînes d’alimentation, on pourrait ajouter la dimension de l’action collective. Si l’on compare le livre à une table bien garnie, on goûtera peut-être certains mets plus que d’autres. On se laissera toutefois séduire par la joyeuse convivialité de l’ambiance.
En somme, Baillargeon montre concrètement, et d’une manière toujours savoureuse, comment la philosophie se ramifie en des domaines comme l’éthique, l’esthétique, l’épistémologie et la politique. La mise en page du livre de grand format est étudiée et ponctuée d’une iconographie de bonne tenue. À la fin de chaque chapitre, on trouve des suggestions de sujets de conversation à table (qui prennent parfois l’allure de jeux) et des recommandations de lectures. Visiblement, l’auteur s’est fait plaisir et l’éditeur a voulu concocter un objet de belle qualité. Parions qu’on en verra plusieurs exemplaires sous les sapins à Noël.
À LA TABLE DES PHILOSOPHES
- Flammarion Québec,
- 2017,
- Montréal
207 pages
39,95 $
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