Un univers trouble, hors du temps, décrit et raconté dans une écriture unique. Voilà la troisième œuvre de fiction qui émane du creuset d’inspiration propre à la romancière confirmée.
Noé, née dans Oss, le premier roman de l’auteure, a échoué un jour sur la plage de Sitjaq où vit, isolée, la famille Borya. L’aîné, Sevastian-Benedikt, aura tôt fait de l’engrosser, lui dont on dit qu’il « saille comme les cerfs ou les canards, sans préambule, d’un coup sec ».
Une langue somptueuse traduit avec finesse l’érotisme et la sensualité qui traversent cette tranche de vie du petit clan de taiseux. On assiste aux premiers émois sexuels du garçonnet Osip qui, devenu adulte, visitera aussi dans sa masure Noé, la femme de Sevastian, occupé à parcourir la forêt. Aussi ignore-t-on qui est le père des enfants qu’a « expulsés » Noé, à l’exception de la première, Mie. À douze ans, celle-ci découvre sa nudité et, alors qu’elle connaît tout des bêtes parce que dotée du pouvoir de se glisser dans leur corps, elle s’interroge sur le sexe des humains. De là, son désir d’être initiée. La pensée d’Osip stimulera son imagination. Le jeune homme captivé par Noé allant et venant sur la plage répondra-t-il à l’invitation de sa nièce ?
Les personnages de Mie, pubère au désir naissant, et de sa mère Noé illustrent deux pôles de la sexualité féminine. Noé, soumise au désir des hommes, sauvageonne taciturne qui ne s’occupe de personne, se parle à elle-même pour se raconter des histoires cruelles. Celle de la reine de Saba au château de l’Ogre qui « [d]ésespéré d’amour, malheureux et violent, / […] se maria à l’aube et tua au couchant », intrigue Mie, qui tend une oreille inquiète pour saisir le soliloque de sa mère. Cette histoire d’épouvante, Noé se la raconte, à voix haute, ruisselante du sang de la baleine échouée sur la plage qu’elle dépèce, munie d’outils tranchants. Difficile de ne pas y voir la sublimation de l’agressivité de Noé qui s’identifie à la reine de Saba, laquelle, après s’être longtemps refusée à l’Ogre, usera d’un subterfuge pour s’en débarrasser. Le recours à la légende et au conte ajoute une couche de sens, de même que les dessins au fusain dont Noé noircit les murs de sa cabane pour fixer les bribes de souvenirs sombres qui remontent jusqu’à sa petite enfance. Mie aussi fera appel au dessin pour tracer dans un cahier des figures et des formes représentant les membres du clan.
Le corps des bêtes s’avère une invitation à la participation de tous les sens. La sensualité attribuée ici à l’écriture d’Audrée Willhelmy n’est pas un vain mot.
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