Ainsi nommée par Samuel de Champlain en 1604, l’isle Haute existe bel et bien en marge de Grand-Pré et,pourtant, déplore Serge Patrice Thibodeau, « [b]ien avant Photoshop et la chute de l’Empire soviétique, on a biffé / exclu / ignoré l’isle Haute ».
Comment expliquer cette amnésie, cet aveuglement? Pourquoi avoir soustrait des cartes et des atlas cette île que l’auteur embrasse du regard lorsqu’il prend le vol AC 665, cette île que le colonel Chris Hadfield photographia depuis la Station spatiale internationale en 2013? Données à voir dans le livre, ces images servent pour ainsi dire de planàThibodeau,qui en ausculte les moindres contours,pour « [r]etrouver / refaire / reconstruire le paysage ».
L’entreprise du poète est audacieuse, complexe et, en cela, elle pourrait dérouter qui chercherait à tout saisir, tout comprendre de cet ensemble composé de 9 parties, toutes précédées d’extraits de documents variés (manuels, lettres personnelles, citations d’auteurs) et rassemblant chacune 44 paragraphes numérotés écrits en prose. Qu’elle convoque les savoirs intimes et encyclopédiques, en appelle à l’Histoire comme à la science ou au phénomène technique, qu’elle se fasse l’écho de la mythologie, des mystères de la foi ou des désirs du corps, la démarche de Serge Patrice Thibodeau touche qui s’y abandonne, cœur et sens.
« Acadie-Matrice. […]Tout revient à la lecture d’une carte / de la cartographie d’un espace. Vu de l’espace. L’en-dedans du paysage et le désir limitrophe… » Comme sil’espace correspondait métaphoriquement à cet au-delà promis dans l’enfance, à cette omniscience divine seule à savoir l’égale importance dans la vie du poète de la déportation acadienne de 1755 et du spleen de sa mère, écoutant en boucle « Little Girl Blue » de Janis Joplin « quand les enfants étaient à l’école ».
Une fois la mère en allée, que reste-t-il des images premières, de cette affection profonde qu’elle eut pour le fils et qu’elle manifesta dans ses lettres ? « J’ai hâte de ton retour tu ne sais pas comment », lui écrit-elle alors qu’il est au loin. Que lui reste-t-il, lettres et souvenirs mis à part, sinon « [l]e sentiment très profond d’être une isle abandonnée du reste du Monde, pour ce qu’il en reste » ?
Almanach, somme,thésaurus de l’aventure et de la déshérence humaine, L’isle Haute en marge de Grand-Pré – à juste titre finaliste aux Prix littéraires du Gouverneur général 2017 – propose une forme de géopoétique des rapports mémoriels et affectifs, un parcours de l’homme orphelin, libéré et inquiet, toujours désirant, toujours en quête de sens dans la projection amoureuse, dans la rencontre de « [d]eux corps blêmes rapatriés au pays de l’impossible narration / récit. Deux corps éparés sur la grille de Mercator ».
L’ISLE HAUTE EN MARGE DE GRAND-PRÉ
- Perce-Neige,
- 2017,
- Moncton
201 pages
22 $
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