En lisant ce premier roman de Catherine D’Anjou, finaliste au Grand Prix littéraire Archambault 2016, on ne peut s’empêcher de songer à cette lignée de personnages négatifs dont Bartleby le scribe (de Melville) constitue l’une des premières incarnations spectaculaires et « l’homme mesuré », dans le récit éponyme de Gilles Pellerin (dont on a insuffisamment parlé l’an dernier), l’une des plus récentes. Des personnages qui s’affirment par un refus du monde ambiant ou qui éprouvent, face à lui, un irrémédiable décalage. Le héros anonyme du Plan – qui devient « Baptiste » dans la seconde partie du livre – est de ceux-là. Misanthrope persuadé que la fin du monde ne saurait tarder, il a élaboré un plan de survie rigoureux, qui le prémunira autant contre une attaque bactériologique que contre une invasion de zombies. Il a transformé une pièce de son appartement de l’avenue Cartier, à Québec, en bunker et adapté son comportement social de manière à passer inaperçu. Il s’est par exemple juré de ne jamais adresser la parole à quiconque, ou le moins possible. Car à l’Institut où il se rend travailler chaque jour, il consent à échanger quelques mots avec monsieur Sinibaldi, un bénéficiaire fantasque qui a décidé de tout apprendre sur Dieu afin de devenir Dieu. Mais quand Simone, une soignante, s’ingénie à sortir Baptiste de son mutisme, c’est tout l’édifice de son « plan » qui s’en retrouve craquelé.
On aura compris que Le plan est un texte d’une rafraîchissante originalité. D’Anjou trace de son héros survivaliste et asocial un portrait qui ne verse jamais dans le pessimisme, mais au contraire dans un humour souvent plein de finesse, comme lorsque le personnage (qui est aussi le narrateur dans la première moitié du livre) procède à sa dégustation rituelle de repas congelés. Ceux-ci « l’exaltent, l’emballent, le ravissent, le réjouissent, le comblent », confie-t-il d’emblée, dans un incipit qui constitue un morceau d’anthologie. Célébrant l’écriture par ses clins d’œil à Romain Gary, par sa construction qui évoque celle des nouvelles à chute et par son jeu sur les ficelles du récit, notamment quand celui-ci devient assuré par un narrateur externe intrusif, D’Anjou signe ici une œuvre soignée et amusante.
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