Saluons d’abord la qualité de la traduction qui, fort heureusement, ne nous distrait pas du propos du dernier roman de James Salter, mort en 2015 à l’âge de 90 ans. Si la longévité de Salter mérite d’être soulignée, c’est que son roman a presque autant d’ambition et embrasse toute la seconde moitié du vingtième siècle. Et rien d’autre, la vie, pense-t-on aussitôt après avoir refermé le livre, non sans avoir cédé à l’impulsion qui nous ramène à son début avec le sentiment que l’on pourrait s’y replonger avec un bonheur sans doute décuplé. Ce que l’on s’empressera de faire à la première occasion.
La vie, et rien d’autre. Voilà pour le résumé. James Salter a l’art de mener et de boucler ses histoires tout en laissant la fin ouverte. À chacun de combler les vides, si vides il y a. Salter prend plaisir à multiplier les épisodes qui composent la trame d’une vie, à les entrecroiser, à les interrompre pour mieux les relancer au moment où notre attention cède à la mécanique romanesque. On navigue ici sur un océan, les surfaces calmes ne sont qu’apparence, mirage. On entre dans un roman de Salter comme on entreprend une traversée : il faut constamment être sur le qui-vive. Ne serait-ce d’ailleurs pas la meilleure attitude à adopter en toutes circonstances ?
On a qualifié James Salter d’écrivain pour les écrivains. L’expression peut faire sourire, voire éloigner des lecteurs qui craindraient de se risquer dans un univers romanesque hors de leur portée. Or, il n’en est rien. Les frileux y trouveront leur compte. Salter fait preuve d’une incroyable maîtrise dans l’art de raconter une histoire, d’évoquer en quelques mots, en quelques traits, l’essentiel d’un personnage, de nourrir la charge émotive porteuse de l’action. Son style, vif, limpide, se démarque notamment par la juxtaposition d’éléments, de propositions qui ne laissent pas de surprendre le lecteur, l’obligeant parfois à revenir en arrière pour ne rien perdre de l’ambitieux projet ici poursuivi : brosser le portrait d’un demi-siècle qui a vu se répéter les horreurs d’une guerre mondiale, la transformation radicale de la société nord-américaine, le tout sur fond d’une vie. Celle de Philip Bowman, sous-lieutenant de la marine américaine au début du roman, éditeur de romans une fois démobilisé. Entre les deux, la vie d’un homme, marié, divorcé, sans doute fortement inspirée de celle de James Salter, qui s’exclame à la toute fin du roman : « Offrons-nous un moment extraordinaire ». Et rien d’autre, serait-on tenté d’ajouter.
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