Dernier roman de Henning Mankell paru en français, Daisy Sisters a pourtant été écrit il y a longtemps, avant le premier polar de la longue série qui mettra en vedette le commissaire Wallander, policier à Ystad, en Scanie, aujourd’hui universellement connu.
En ce début d’octobre 2015, où le monde littéraire apprend avec tristesse la disparition du grand écrivain scandinave, le roman gagne encore en intérêt, comme pour souligner que depuis toujours Mankell s’est porté à la défense des petits et des sans-voix. Un des traits dominants de l’auteur que nous aimions et admirions tant.
La saga féministe des Daisy Sisters a été publiée en suédois, en 1982. Le titre du livre fait référence au surnom que les principales protagonistes, Elna et Vivi, s’étaient donné en 1941, une allusion moqueuse aux duos de chanteuses américaines de l’époque.
Mankell dresse avec ardeur une fresque historique et politique de la Suède d’après-guerre – de 1941 à 1981 –, dans laquelle il dénonce les inégalités sociales qu’il ne cessera d’évoquer ensuite dans toute son œuvre. Il y a plus de 30 ans, l’auteur de 34 ans était moins habile, mais il se penchait déjà sur les injustices de son pays nordique, par ailleurs applaudi pour son audace économique et démocratique.
Malgré une certaine maladresse, avec des longueurs et des répétitions, le prolifique écrivain annonce ses couleurs non pas comme redresseur de torts, mais comme dénonciateur d’abus de toutes sortes. Mankell parle beaucoup, parfois même trop, du travail en usine, de la montée des syndicats, de l’alcool ravageur, car « la brutalité suédoise est sans limites et elle est presque toujours le résultat d’une consommation d’alcool ». En racontant les femmes, leurs luttes, leur volonté d’émancipation, leur fragilité devant la violence et les agressions tolérées dans une société dite ouverte, l’auteur met la table pour ses livres futurs, que Wallander en soit ou pas.
En plus de 500 pages, on suit les destins croisés de trois générations de femmes, sur lesquelles semble s’acharner le mauvais sort. Bien vains paraissent leurs efforts pour se construire une vie toute simple d’honnêtes travailleuses, sans plus. « Elle éprouve un grand étonnement devant la manière dont sa vie a évolué. Elle ne s’attendait pas à ça, vraiment pas. »
Elles sont attachantes, ces Elna, Vivi, Eivor ou Linda, dommage que leur capacité à briser leurs chaînes ne soit pas toujours à la hauteur de leur quête d’émancipation et d’indépendance. Leurs amours ratées, leurs maternités non désirées, leurs mauvaises décisions, leurs frustrations, parfois leur désespoir, ne sont pas sans rappeler celles de leurs sœurs de la même génération, issues d’autres pays industrialisés. Toutes, elles partagent les mêmes combats, les mêmes illusions, les mêmes défaites, et sans doute le même espoir.
Daisy Sisters, c’est du Mankell véritable, avec sa capacité d’observation, son style, ses descriptions, son rythme, son sens de la justice, mais c’est par contre du jeune Mankell, pas encore du grand Mankell, comme nous savons qu’il saura nous en livrer.
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