Le titre est bellement paradoxal : Henri Pena-Ruiz y annonce à la fois son intention de préciser les termes qui concernent la laïcité et celle d’exprimer son attachement personnel à cette notion. Pari tenu : bien qu’aimée, la laïcité sera définie avec rigueur. L’auteur obtient du même coup un pardon guère nécessaire : s’il attribue parfois à la laïcité encore plus de vertus qu’elle n’en mérite, nous aurons été avertis du préjugé favorable.
À juste titre, Pena-Ruiz dégage d’abord la laïcité d’un fatras de préjugés. Non, elle n’agresse pas la religion, pas plus qu’elle n’est la siamoise de l’athéisme ou qu’elle rejette l’éthique, la beauté ou l’enthousiasme. Elle est tout simplement, mais sans concession, « le symbole vivant de la volonté générale, cette faculté inouïe qui nous fait vouloir ce qui vaut pour tous ». Elle constitue le dénominateur commun qui, toutes différences laissées sur la touche, apparente les citoyens. Liberté est laissée à chacun de professer la foi de son choix, à condition qu’elle ne détourne jamais au profit d’un segment ce que réclame l’ensemble : pas question que l’État soutienne l’école confessionnelle, pas question non plus qu’une pression religieuse ou corporatiste infléchisse la recherche, l’enseignement, les préséances.
L’auteur, citant Montesquieu, justifie l’épithète qui marque son titre : oui, malgré le caractère escarpé de son exigence, la laïcité mérite la ferveur, l’attachement, l’amour. D’où l’endossement qu’accorde Pena-Ruiz à la définition que donnait de la vertu civique l’auteur de L’esprit des lois : « L’amour des lois et de la patrie ».
Pela-Ruiz ne permet donc pas que l’on assèche la laïcité en lui niant l’accès à la spiritualité. Citant cette fois Auguste Comte, il soulignera plutôt « la fonction émancipatrice d’une spiritualité libre, délivrée de toute tutelle religieuse ou idéologique ». En revanche, il hésitera d’étonnante façon avant de reconnaître qu’une distance sépare la laïcité de la tolérance. Après un moment, il entreverra néanmoins « la part de condescendance que peut impliquer la tolérance quand elle vient d’une autorité habilitée à tolérer ». Tergiversation inexplicable, tant il est patent que tolérer quelqu’un, ce n’est pas le traiter comme un égal.
Aux yeux de Pena-Ruiz, le bilan de la France en matière de laïcité mérite plus d’éloges et d’admiration que de reproches. De fait, des lois nettes et même tranchantes y ont affirmé, aussi bien en 1789 qu’en 1905, la nécessité d’édifier un mur entre citoyenneté et pouvoir religieux, offrant au monde un exemple et une référence. Comme d’autres avant lui (cf. Jean-Claude Guillebaud, Le deuxième déluge, Desclée de Brouwer, 2011, « Le Québec devant son poste »), en arrive ainsi à opposer le ferme refus français aux « accommodements raisonnables » qui déshonoreraient à la fois le Québec et la laïcité : « On peut s’interroger sur le sens évidemment problématique d’une telle notion. Que s’agit-il d’accommoder ? La rectitude des principes, qui serait un obstacle à leur mise en œuvre ? Mais, dans une telle hypothèse, la dimension normative des principes est mise à mal, et on peut se demander dès lors à quoi ils servent ».
Quoi qu’on puisse penser de l’expression elle-même, il n’est pas dit que les « accommodements raisonnables » ouvrent dans le mur dressé contre l’intrusion religieuse ou idéologique de plus larges brèches que la loi française de Debré. Certes, Pena-Ruiz reconnaît lui-même que cette concession aux cultes nie dans les faits la laïcité affirmée par l’État français ; il ne consacre pourtant pas un article à cette loi. D’autre part, l’auteur semble considérer comme acceptable le conseil donné au président français Poincaré par Georges Clemenceau lors de l’Armistice de 1918 : « Suite à la loi sur la séparation de l’Église et de l’État, le gouvernement n’assistera pas au Te Deum donné à Notre-Dame. Mmes Poincaré [femme du président de la République] et Deschanel [femme du président de la Chambre des députés] n’étant pas membres du gouvernement pourront par contre y assister ». Accommodement… ?
Pena-Ruiz écrira d’ailleurs à propos du sionisme que « la temporalité de l’émancipation terrestre se révèle plus longue que prévue ». Comme si principes et patience pouvaient coexister.
Ne chipotons pas : l’ouvrage dissipe heureusement nombre de malentendus. Il libère la laïcité d’accusations sans fondement et en fait percevoir l’absolue nécessité. Que, entre deux peuples « séparés par la même langue », quelques expressions subissent des évaluations différentes, ce n’est pas un drame. L’ouvrage n’y perd pas son mérite.
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