Documentation copieuse, travail sur le terrain intelligent, contacts éclairants, réflexion puissante, enjeu capital. D’où un livre nécessaire.
Certains sursauteront en lisant que la relation du Québec avec son Nord rappelle les romans de la terre et que, malgré des progrès, les promesses offertes à propos du Nord par les premiers ministres Bourassa, Charest et Couillard pèchent toutes par leur simplisme. Comment une vision surannée du Québec peut-elle évoquer la technologie hydroquébécoise ? Quelle parenté entre Menaud, encarcané dans la dépendance, et l’ingénieur livrant au Sud les richesses du Nord ? N’est-ce pas au cri de « Maîtres chez nous » que s’est mise en marche la Révolution tranquille ? Que ces sceptiques lisent Caroline Desbiens. Ils devront alors convenir de ceci : les Sudistes que nous sommes ignorent qu’il était et qu’il est encore indécent de traiter le Nord comme s’il attendait, dans son grand vide silencieux, la venue du progrès et du développement. Il est temps, écrit le préfacier, Graeme Wynn, « d’interpréter le développement économique sous un angle culturel ». « Si, écrit Desbiens, au cours des 30 dernières années, les Cris et les Québécois se sont beaucoup influencés les uns les autres dans leur façon de considérer la nature, les ressources et le développement, une compréhension approfondie de l’approche culturelle de la terre de chacun des groupes fait toujours défaut et cette lacune continue de faire obstacle, de diverses manières, à l’élaboration d’un cadre de gestion interculturel ».
Tous admettront que les chantiers nordiques d’Hydro-Québec ont nourri la fierté québécoise. « Pendant cette période de décolonisation et d’affirmation de l’identité canadienne-française, personne ne semblait relever l’ironie que supposait le fait de se dire ‘Maîtres chez nous’ sur des terres innues. » Ainsi régnait une sorte de cartésianisme niant la nécessité d’être quelqu’un quelque part, selon l’expression du géographe Luc Bureau (Entre l’éden et l’utopie). Québec disposait du Nord comme s’il l’avait toujours fréquenté, occupé, apprivoisé. Il s’improvisait nordique et substituait la technologie à la patiente fréquentation des lieux. En ce sens, le comportement du Québec reproduisait les déferlements européens sur les Amériques. En bousculant les populations depuis toujours présentes sur le territoire, on fondait l’identité du Québécois du Sud sur l’appropriation soudaine et distraite d’une conquête territoriale. Le Québécois du Sud prétendait devenir « quelqu’un » sans avoir été d’abord « quelque part ». Le contrôle du sol agissait magiquement… comme au temps du curé Labelle, de Menaud, de Maria Chapdelaine ou de Jean Rivard.
Ce simplisme n’existe plus ? C’est à voir. Si Robert Bourassa a enflammé l’imagination nationale avec le chantier de La Grande, « c’est précisément parce qu’il combinait les figures traditionnelles du Québec et la construction progressive d’un État moderne à la suite de la Révolution tranquille ». Si Charest a suivi la même voie, c’est en présumant que le Nord était vide. Couillard parle des Autochtones ? Seulement après avoir chiffré son plan. Par rapport aux Cris, le Sud jouirait-il de la supériorité que Durham attribuait à la race anglaise ? Chose certaine, le Nord constitue encore, selon nos élus, un simple outil : « Le terme ‘laboratoire’ a un vaste répertoire de significations : il évoque la modernité, mais aussi l’autorité et la certitude en représentant la Baie-James comme le site d’une expérience contrôlée ». Prétention d’apprentis sorciers.
Au passage, Desbiens dresse un bilan sévère du régime imposé aux travailleurs du Nord et, plus particulièrement, aux femmes. Comme si la myopie à l’égard de la culture des Autochtones conduisait à l’ignorance des relations humaines et même de l’amour.
L’auteure ajoute une anecdote : « En 1997, la Commission de toponymie du Québec a marqué le vingtième anniversaire de la Charte de la langue française du Québec (loi 101) avec un ‘poème géographique’. Cent une îles ont été nommées en utilisant des citations tirées d’œuvres littéraires québécoises bien connues ». Le but ? Animer « l’anonyme ». Le problème ? « Les lieux choisis […] étaient en fait les affleurements des collines émergeant du réservoir Caniapiscau » et portaient déjà des noms ! Conclusion : « […] le Jardin au bout du monde semblait ainsi utiliser la poésie pour commémorer les dommages faits à la terre ». De quoi alimenter quelques colloques de géographes sur la notion de paysage : est-il une création de l’homme ?
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