Constituée surtout de textes à fort indice sociologique, l’anthologie Lectures de l’Acadie privilégie, de son propre aveu, certaines perspectives : il lui revient, dit-on en quatrième de couverture, « de rendre compte du précieux travail des sciences humaines et sociales en Acadie ». Rien là qui soit anormal ou illégitime ; surtout, rien qu’un non-Acadien puisse contester. Il en résulte, pourtant, pour le lecteur peu familier avec l’histoire et le tissu acadiens, le sentiment d’entendre un plaidoyer plutôt qu’un bilan large et serein. À noter également que l’anthologie cesse sa cueillette en 1994, ce qui, en ces temps d’accélération, force à interroger un passé déjà lointain.
Plusieurs textes suscitent la réflexion. Insistons sur ceux de Marc-Adélard Tremblay, de Jean-Paul Hautecœur, de Léon Thériault, de Michel Roy, de Joseph Yvon Thériault, de Michel Bastarache. Celui de Marc-Adélard Tremblay, daté de 1962, donne un durable aperçu des tâches à assumer. Celui de Jean-Paul Hautecœur, de quinze ans postérieur, scrute le nationalisme acadien et en définit les étapes en termes nets et même brutaux. Pendant un temps, le fétichisme suffit, car l’Acadie vit « sur le mode de la parole », investie qu’elle est dans la prière, le sermon, les chants, le mythe originaire du Grand Dérangement ! Aux yeux de Léon Thériault, l’histoire de l’Acadie n’est racontée fidèlement qu’à propos du Régime français et de la période qui suit la confédération. Entre ces deux périodes, l’essentiel s’absente : « On nous a présenté une histoire de consensus, une histoire où tous les francophones étaient d’accord. Il y a au contraire tout un passé de violence que l’on a ignoré, violence dirigée non seulement contre des éléments extérieurs à la société acadienne, mais violence dirigée contre certains éléments de la société acadienne elle-même ».
Avec des doigtés différents, Michel Roy et Michel Bastarache évoqueront les liens entre l’Acadie et le Québec. De dire Michel Roy : « La leçon de 1755 n’a pas servi. Nous essayons toujours de louvoyer entre une Amérique dont la vocation anglaise ne fait plus maintenant l’ombre d’un doute, et le Québec, seule partie française viable du continent ». L’éminent juriste Bastarache invite lui aussi l’Acadie à un questionnement englobant : « La signification profonde du dualisme canadien a été scrutée par les auteurs de toutes les études sur la Constitution ; nous croyons, pour notre part, qu’elle se résume à deux principes fondamentaux, la sécurité culturelle et la représentation politique des deux communautés nationales ». Autrement dit, renforcer la culture de la minorité acadienne et doter d’un poids politique ce qui demeure, dans le vocabulaire de Michel Saint-Louis, une « collectivité sans État ».
Quant à la contribution de Joseph Yvon Thériault, elle touche un point sensible. « D’une certaine façon, écrit-il, l’histoire des sciences sociales et de l’Acadie fut un rendez-vous manqué. […] D’une certaine façon les sciences sociales sont nées en Acadie au moment où un peu partout elles entraient en crise ». Ce verdict provoque de la part des coordonnateurs de l’anthologie une riposte qui témoigne de leur déplaisir : « Il y a d’abord le fait que cette lecture fait fi du caractère récent de l’institution universitaire. Plus important encore, son ignorance à l’égard de l’histoire contemporaine de l’Acadie ne permet en aucune façon de dire que ce n’est qu’après les réformes des années 60 qu’un ‘groupe d’intellectuels acadiens’ se forme ». Comme s’il avait pressenti la réticence, Thériault avait ajouté : « Ainsi les grandes réformes sociales et politiques des années 60 qui allaient marquer profondément la société acadienne se réalisèrent avant que naisse ici un groupe d’intellectuels acadiens capables, à partir d’une connaissance intime de leur milieu, d’en orienter le sens » (souligné par Thériault). Nouvelle réplique : « Nous réalisons aussi aujourd’hui que cette notion d’indigénisation doit être utilisée avec beaucoup de précautions et de nuances dans la mesure où la charge essentialisante dont elle est porteuse ne peut que brouiller dangereusement les frontières entre appartenance et savoirs et jeter un voile sur le travail que ces derniers effectuent ».
Osons un commentaire. Il est notoire, et l’anthologie le confirme, que l’Acadie entend mener sa barque sans dépendre du Québec. Rien de plus légitime. L’Acadie sait pourtant que le Québec peut, aux conditions acadiennes, lui être utile. C’est là que l’arrivée en Acadie d’universitaires peu au fait de la relation haine-amour entre le Québec et l’Acadie risque d’en méconnaître les nuances.
Ce serait dommage. En effet, tandis que plusieurs textes de l’anthologie s’inquiètent de ce que l’Acadie privilégie la culture faute de trouver une voie politique, il s’en trouve au Québec pour diagnostiquer la même propension. Ainsi, Daniel D. Jacques (La fatigue politique du Québec français, Boréal, 2008). Thériault ne formule-t-il pas un diagnostic analogue dans son propos sur les combats menés dans les années 1970 contre une certaine régionalisation : « Quand ces luttes se sont estompées, le mouvement est retourné à ses préoccupations culturelles » ? Percevoir une similitude – si elle existe –,ce n’est pas sacrifier sa liberté.
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