Un livre sur les livres et la lecture (comme le Dictionary of Literary Influences de John Powell) est une fenêtre ouverte sur les savoirs, surtout avec Edgar Morin comme guide intellectuel. Il précise que son apprentissage de la philosophie s’est fait tout au long de sa vie ; son panthéon inclut en outre des « non-philosophes », comme Jésus et Bouddha, Beethoven, et même plusieurs mathématiciens. Ses penseurs préférés sont Héraclite et Pascal, sur lesquels on peut lire des leçons précises et vivantes. Edgar Morin reste fasciné par la coexistence des contradictions, comme l’opposition entre foi et raison, présente dans son cycle intitulé La méthode : « Ce confit, attisé et nourri par des penseurs comme Pascal et Héraclite, m’a permis de me faire moi-même, assumant mes contradictions entre la foi et le doute, la raison et la mystique ».
Parmi les « lectures fulgurantes » l’ayant « marqué à jamais », il avoue avoir trouvé chez Dostoïevski l’inspiration de son concept d’un homo sapiens-demens (mélange de souffrance, de tragédie, de dérision et de délire) que l’on retrouve dans Le paradigme perdu : la nature humaine (1973). Sur Rousseau, il écrit que l’auteur du Contrat social avait « bien compris qu’une volonté générale n’est pas l’addition des volontés particulières ». Devant la pensée de Marx et du marxisme, Edgar Morin est partagé mais souvent perplexe : « Les idées et les idéologies – dont l’idée de nation – n’étaient que d’illusoires superstructures ». Peut-être les plus touchantes, les pages sur Proust lui permettent d’y reconnaître « un microcosme de tout tissu de vie humaine ». Edgar Morin admire par ailleurs le surréalisme, qui se nourrit de hasards, de rêves et de poésie : « La vie s’exalte dans l’émerveillement et le surréalisme a exalté le merveilleux du quotidien ». Admirateur de la psychanalyse, Edgar Morin reconnaît sa dette envers Freud, qui « voit la présence active de la mort (Thanatos luttant contre Éros) au cœur de la vie ». La conclusion de ce livre se trouve dans les pages centrales réaffirmant le rôle de la philosophie, qui devrait interroger la science et la connaissance : « Aujourd’hui, toutes les avancées de la science raniment les interrogations philosophiques premières ».
Inspiration pour de futures lectures, Mes philosophes d’Edgar Morin est non seulement une formidable initiation à la philosophie, mais aussi un autoportrait intellectuel de l’un des derniers grands penseurs européens.